Victor Marie Hugo

Victor Hugo] (26 February 1802 – 22 May 1885 / Besancon / France

Louis Xvii (King Louis Xvii)

Capet, éveille-toi

I

En ces temps-là, du ciel les portes d'or s'ouvrirent;
Du Saint des Saints ému les feux se découvrirent :
Tous les cieux un moment brillèrent dévoilés;
Et les élus voyaient, lumineuses phalanges,
Venir une jeune âme entre de jeunes anges
Sous les portiques étoilés.
C'était un bel enfant qui fuyait de la terre;—
Son oeil bleu du malheur portait le signe austère;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du Martyre unissaient sur sa tête
La couronne des Innocents.

On entendit des voix qui disaient dans la nue :
—' Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue;
Viens, rentre dans ses bras pour ne plus en sortir;
Et vous, qui du Très-Haut racontez les louanges,
Séraphins, prophètes, archanges,
Courbez-vous, c'est un Roi; chantez, c'est un Martyr! '

—' Où donc ai-je régné, demandait la jeune ombre ?
Je suis un prisonnier, je ne suis point un roi.
Hier je m'endormis au fond d'une tour sombre.
Où donc ai-je régné ? Seigneur, dites-le-moi.
Hélas! mon père est mort d'une mort bien amère;
Ses bourreaux, ô mon Dieu, m'ont abreuvé de fiel;
Je suis un orphelin; je viens chercher ma mère,
Qu'en mes rêves j'ai vue au ciel. '

Les anges répondaient:—' Ton Sauveur te réclame.
Ton Dieu d'un monde impie a rappelé ton âme.
Fuis la terre insensée où l'on brise la Croix,
Où jusque dans la mort descend le Régicide,
Où le Meurtre, d 'horreurs avide,
Fouille dans les tombeaux pour y chercher des rois! '

—' Quoi! de ma lente vie ai-je achevé le reste ?
Disait-il; tous mes maux, les ai-je enfin soufferts ?
Est-il vrai qu'un geôlier, de ce rêve céleste,
Ne viendra pas demain m'éveiller dans mes fers ?
Captif, de mes tourments cherchant la fin prochaine,
J'ai prié; Dieu veut-il enfin me secourir ?
Oh! n'est-ce pas un songe ? a-t-il brisé ma chaine ?
Ai-je eu le bonheur de mourir ?

' Car vous ne savez point quelle était ma misère !
Chaque jour dans ma vie amenait des malheurs ;
Et lorsque je pleurais, je n'avais pas ma mère
Pour chanter à mes cris, pour sourire à mes pleurs.
D'un châtiment sans fin languissante victime,
De ma tige arraché comme un tendre arbrisseau,
J'étais proscrit bien jeune, et j'ignorais quel crime
J'avais commis dans mon berceau.

' Et pourtant, écoutez: bien loin dans ma mémoire,
J'ai d'heureux souvenirs avant ces temps d'effroi;
J'entendais en dormant des bruits confus de gloire,
Et des peuples joyeux veillaient autour de moi.
Un jour tout disparut dans un sombre mystère;
Je vis fuir l'avenir à mes destins promis;
Je n'étais qu'un enfant, faible et seul sur la terre,
Hélas! et j'eus des ennemis!

' Ils m'ont jeté vivant sous des murs funéraires;
Mes yeux voués aux pleurs n'ont plus vu le soleil;
Mais vous que je retrouve, anges du ciel, mes frères,
Vous m'avez visité souvent dans mon sommeil.
Mes jours se sont flétris dans leurs mains meurtrières,
Seigneur, mais les méchants sont toujours malheureux;
Oh! ne soyez pas sourd comme eux à mes prières,
Car je viens vous prier pour eux. '

Et les anges chantaient: -' L'arche à toi se dévoile,
Suis-nous; sur ton beau front nous mettrons une étoile.
Prends les ailes d'azur des chérubins vermeils;
Tu viendras avec nous bercer l'enfant qui pleure,
Ou, dans leur brûlante demeure,
D'un souffle lumineux rajeunir les soleils! '

III

Soudain le choeur cessa, les élus écoutèrent;
Il baissa son regard par les larmes terni;
Au fond des cieux muets les mondes s'arrêtèrent,
Et l'éternelle voix parla dans l'infini :
' O roi! je t'ai gardé loin des grandeurs humaines.
Tu t'es réfugié du trône dans les chaînes.
Va, mon fils, bénis tes revers.
Tu n'as point su des rois l'esclavage suprême,
Ton front du moins n'est pas meurtri du diadème,
Si tes bras sont meurtris de fers.

Enfant, tu t'es courbé sous le poids de la vie;
Et la terre, pourtant, d'espérance et d'envie
Avait entouré ton berceau!
Viens, ton Seigneur lui-même eut ses douleurs divines,
Et mon Fils, comme toi, Roi couronné d'épines,
Porta le sceptre de roseau! '

King Louis XVII

The golden gates were opened wide that day,
All through the unveiled heaven there seemed to play
Out of the Holiest of Holy, light;
And the elect beheld, crowd immortal,
A young soul, led up by young angels bright,
Stand in the starry portal.

A fair child fleeing from the world's fierce hate,
In his blue eye the shade of sorrow sate,
His golden hair hung all dishevelled down
On wasted cheeks that told a mournful story,
And angels twined him with the innocent's crown,
The martyr's palm of glory.

The virgin souls that to the Lamb are near,
Called through the clouds with voices heavenly clear,
'God hath prepared a glory for thy brow;
Rest in his arms, and all ye hosts that sing
His praised ever on untired string,
Chant, for a mortal comes among ye now;
Do homage,—'tis a king!'

And the pale shadow saith to God in heaven:
'I am an orphan and no king at all;
I was a weary prisoner yestereven.
My father's murderers fed my soul with gall.
Not me, O Lord! the regal name beseems.
Last night I fell asleep in dungeon drear,
But then I saw my mother in my dreams.
Say, shall I find her here?'

The angels said: 'Thy Saviour bids thee come;
Out of an impure world he calls thee home,
From the mad earth, where horrid murder waves
Over the broken cross her impure wings,
And regicides go down among the graves,
Scenting the blood of kings.'

He cries: 'Then have I finished my long life?
Are all its evils over, all its strife,
And will no cruel jailer evermore
Wake me to pain, this blissful vision o'er?
Is it no dream that nothing else remains
Of all my torments but this answered cry,
And have I had, O God! amid my chains,
The happiness to die?

'For none can tell what cause I had to pine,
What pangs, what miseries, each day were mine;
And when I wept there was no mother near
To soothe my cries, and smile away my tear.
Poor victim of a punishment unending,
Torn like a sapling from its mother-earth,
So young, I could not tell what crime impending
had stained me from my birth.

'Yet far off in dim memory, it seems,
With all its horror mingled happy dreams;
Strange cries of glory rocked my sleeping head,
And a glad people watched beside my bed.
One day into mysterious darkness thrown,
I saw the promise of my future close;
I was a little child, left all alone,
Alas! and I had foes.

'They cast me living in a dreary tomb;
Never mine eyes saw sunlight pierce the gloom.
Only ye, brother angels, used to sweep
Down from your heaven, and visit me in sleep.
'Neath blood-red hands my young life withered there.
Dear Lord, the bad are miserable all;
Be not thou deaf, like them, unto my prayer,—
It is for them I call.'

The angels sang: 'See heaven's high arch unfold!
Come, we will crown thee with the stars above,
Will give thee cherub-wings of blue and gold,
And thou shalt learn our ministry of love,
Shalt rock the cradle where some mother's tears
Are dropping o'er her restless little one,
Or, with thy luminous breath, in distant spheres,
Shalt kindle some cold sun.'

Ceased the full choir, all heaven was hushed to hear;
Bowed the fair face, still wet with many a tear;
In depths of space the rolling worlds were stayed
Whilst the Eternal in the infinite said,—

'O king, I kept thee far from human state,
Who hadst a dungeon only for thy throne,
O son! rejoice and bless they bitter fate,—
The slavery of kings thou hast not known.
What if thy wasted arms are bleeding yet,
And wounded with the fetter's cruel trace.
No earthly diadem has ever set
A stain upon thy face.

'Child, life and hope were with thee at thy birth;
But life soon bowed thy tender form to earth,
And hope forsook thee in thy hour of need.
Come, for thy Saviour had his pains divine;
Come, for his brow was crowned with thorns like thine;
His sceptre was a reed.'
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