Tristan Corbiere

1845-1875 / France

Elizir d’Amor -

Tu ne me veux pas en rêve,
Tu m’auras en cauchemar !
T’écorchant au vif, sans trêve,
– Pour moi… pour l’amour de l’art.

– Ouvre : je passerai vite,
Les nuits sont courtes, l’été…
Mais ma musique est maudite,
Maudite en l’éternité !

J’assourdirai les recluses,
Éreintant à coups de pieux,
Les Neuf et les autres Muses…
Et qui n’en iront que mieux !…

Répéterai tous mes rôles
Borgnes – et d’aveugle aussi…
D’ordinaire tous ces drôles
Ont assez bon oeil ici :

– À genoux, haut Cavalier,
À pied, traînant ma rapière,
Je baise dans la poussière
Les traces de Ton soulier !

– Je viens, Pèlerin austère,
Capucin et Troubadour,
Dire mon bout de rosaire
Sur la viole d’amour.

– Bachelier de Salamanque,
Le plus simple et le dernier…
Ce fonds jamais ne me manque :
– Tout voeux ! et pas un denier ! –

– Retapeur de casseroles,
Sale Gitan vagabond,
Je claque des castagnoles
Et chatouille le jambon…

– Pas-de-loup, loup sur la face,
Moi chien-loup maraudeur,
J’erre en offrant de ma race :
– Pur-Don-Juan-du-Commandeur. –

Maîtresse peut me connaître,
Chien parmi les chiens perdus :
Abeilard n’est pas mon maître,
Alcibiade non plus !
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