Tristan Corbiere

1845-1875 / France

Décourageux

Ce fut un vrai poète : Il n’avait pas de chant.
Mort, il aimait le jour et dédaigna de geindre.
Peintre : il aimait son art – Il oublia de peindre…
Il voyait trop – Et voir est un aveuglement.

Songe-creux : bien profond il resta dans son rêve ;
Sans lui donner la forme en baudruche qui crève,
Sans ouvrir le bonhomme, et se chercher dedans.

Pur héros de roman : il adorait la brune,
Sans voir s’elle était blonde… Il adorait la lune ;
Mais il n’aima jamais – Il n’avait pas le temps.

Chercheur infatigable : Ici-bas où l’on rame,
Il regardait ramer, du haut de sa grande âme.
Fatigué de pitié pour ceux qui ramaient bien…

Mineur de la pensée : il touchait son front blême,
Pour gratter un bouton ou gratter le problème
Qui travaillait là – Faire rien.

Il parlait : « Oui, la Muse est stérile ! elle est fille
D’amour, d’oisiveté, de prostitution ;
Ne la déformez pas en ventre de famille
Que couvre un étalon pour la production !

« Ô vous tous qui gâchez, maçons de la pensée !
Vous tous que son caprice a touchés en amants,
– Vanité, vanité – La folle nuit passée,
Vous l’affichez en charge aux yeux ronds des manants !

« Elle vous effleurait, vous, comme chats qu’on noie,
Vous avez accroché son aile ou son réseau,
Fiers d’avoir dans vos mains un bout de plume d’oie,
Ou des poils à gratter, en façon de pinceau !

– Il disait : « Ô naïf Océan ! Ô fleurettes,
Ne sommes-nous pas là, sans peintres, ni poètes !…
Quel vitrier a peint ! quel aveugle a chanté !…
Et quel vitrier chante en raclant sa palette,

« Ou quel aveugle a peint avec sa clarinette !
– Est-ce l’art ?… »
– Lui resta dans le Sublime Bête
Noyer son orgueil vide et sa virginité.
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