Cloris, lorsque je songe, en te voyant si belle,
Que ta vie est sujette à la loi naturelle,
Et qu'à la fin les traits d'un visage si beau
Avec tout leur éclat iront dans le tombeau,
Sans espoir que la mort nous laisse en la pensée
Aucun ressentiment de l'amitié passée,
Je suis tout rebuté de l'aise et du souci
Que nous fait le destin qui nous gouverne ici,
Et, tombant tout à coup dans la mélancolie,
Je commence à blâmer un peu notre folie,
Et fais voeu de bon coeur de m'arracher un jour
La chère rêverie où m'occupe l'amour.
Dieu nous a tant donné de divertissements,
Nos sens trouvent en eux tant de ravissements,
Que c'est une fureur de chercher qu'en nous-même
Quelqu'un que nous aimions et quelqu'un qui nous aime.
Le coeur le mieux donné tient toujours à demi,
Chacun s'aime un peu mieux toujours que son ami ;
On les suit rarement dedans la sépulture ;
Le droit de l'amitié cède aux lois de nature.
Pour moi, si je voyais, en l'humeur où je suis,
Ton âme s'envoler aux éternelles nuits,
Quoi que puisse envers moi l'usage de tes charmes,
Je m'en consolerais avec un peu de larmes. ...
Le ciel en soit loué ! Cloris, je suis guéri.
Car insensiblement ma muse un peu légère
A passé dessus toi sa plume passagère,
Et, détournant mon coeur de son premier objet,
Dès le commencement j'ai changé de sujet,
Emporté du plaisir de voir ma veine aisée
Sûrement aborder ma flamme rapaisée
Et jouer à son gré sur les propos d'aimer,
Sans avoir aujourd'hui pour but que de rimer,
Et sans te demander que ton bel oeil éclaire
Ces vers, où je n'ai pris aucun soin de te plaire.