Théophile de Viau


Au milieu de Paris je me suis fait ermite

Au milieu de Paris je me suis fait ermite,
Dedans un seul objet mon esprit se limite,
Quelque part où mes yeux me pensent divertir
Je traîne une prison d'où je ne puis sortir,
J'ai le feu dans les os et l'âme déchirée
De cette flèche d'or que vous m'avez tirée.
Quelque tentation qui se présente à moi,
Son appas ne me sert qu'à renforcer ma foi.
L'ordinaire secours que la raison apporte
Pour rendre à tout le moins ma passion moins forte,
L'irrite davantage, et me fait mieux souffrir
Un tourment qui m'oblige en me faisant mourir,
Contre un dessein prudent s'obstine mon courage
Ainsi que le rocher s'endurcit à l'orage.
J'aime ma frénésie et ne saurais aimer
Aucun de mes amis qui la voudraient blâmer,
Aussi ne crois-je point que la raison consente
De m'approcher tandis que vous serez absente.
J'entends que ma pensée éprouve incessamment
Tout ce que peut l'ennui sur un fidèle amant,
J'entends que le Soleil avecque moi s'ennuie,
Que l'air soit couvert d'ombre, et la terre de pluie,
Que parmi le sommeil des tristes visions
Enveloppent mon âme en leurs illusions,
Que tous mes sentiments soient mêlés d'une rage,
Qu'au lit je m'imagine être dans un naufrage,
Tomber d'un précipite et voir mille serpents
Dans un cachot obscur autour de moi rampants.
Aussi bien, loin de vous une vie inhumaine
Sans doute me sera plus aimable et plus saine,
Car je ne puis songer seulement au plaisir
Qu'une mort ne me vienne incontinent saisir.
Mais quand le Ciel lassé du tourment qu'il me livre,
Sous ton meilleur aspect m'ordonnera de vivre,
Et qu'en leur changement les Astres inconstants
Me pourront amener un favorable temps,
Mon âme à votre objet se trouvera changée,
Et de tous ces malheurs incontinent vengée.
Quand mes esprits seraient dans un mortel sommeil,
Vos regards me rendront la clarté du Soleil.
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