Raoul Ponchon


Voici le printemps

Vous avez beau dire et faire
Voici le Printemps !
Vous pouvez dans l’atmosphère
Mordre à pleines dents.

« Le printemps — tu vas me dire
À quoi le sens-tu ? »
À quoi ? Voyons, tu veux rire,
Ô fleur de vertu !

Mais… à l’air que l’on respire…
À je ne sais quoi
Qui vous turbule et chavire,
Vous tient sous sa loi ;

Agite jusques aux arbres
Enfin ravivés
Et fait palpiter les marbres,
Aussi les pavés ;

À cette haleine subtile
Qui souffle à la fois
Sur la campagne et la ville,
Les monts et les bois…

Aux roses qui se souviennent
De leur introït,
Aux oiseaux qui nous reviennent
Et qui font : pi ouitt…

À l’eau qui court moins frigide…
Aux sveltes jets d’eau
Dardant leurs pistils rigides
Qui faisaient dodo.

Voire, même à cette pluie
Qui point ne dépleut,
À ce vilain temps de truie
Vraiment scandaleux…

Après tout, tant mieux qu’il pleuve,
La pluie en Avril
Précipite comme un fleuve
Le vin en baril.

Je vois le Printemps encore
Aux agissements
De la plus humble pécore,
Aux cœurs plus cléments…

Mignonne, sois équitable :
Te semble-t-il pas
Que le monde est plus affable ?
Et qu’à chaque pas

Malgré ces jours prosaïques,
Tu culbutes sur
Des êtres plus héroïques ?
C’est le Printemps, sûr !

Déjà le poète muse
Prêt à nous raser
Sur sa guitare, et sa Muse
Lui donne un baiser.

Toi, ma petite folie,
Pourquoi le nier ?
Tu es cent fois plus jolie
Que l’hiver dernier.

Quant à moi, poire tapée,
Je le dis tout bas,
C’est mon oreille coupée,
Ne la vois-tu pas

Qui non seulement repousse
Mais — grâce au Printemps
Grandir chaque jour d’un pouce :
C’est inquiétant !…
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