Raoul Ponchon


Vive l’eau -

Je t’ai maudite bien des fois,
Eau du ciel, en mon ignorance ;
N’ayant guère de déférence
Sinon pour le vin que je bois.

Ce soleil qui nous tyrannise,
Certes, fera du vin coté ;
Mais plus nombreux il eût été,
S’il eût plus plu, qu’on se le dise.

Hélas ! cette eau nous fait défaut
Depuis la saison printanière,
Et pourtant, de toute manière,
Il faut de l’eau, si trop n’en faut.

Sans eau, que deviendrait la Vigne ?
— Vive la Vigne ! mes amis. —
Rien que d’y penser, j’en blêmis,
Et du même coup je me signe.

Sans eau, l’on verrait avant peu
Ses gracieuses branches tortes,
Ainsi que des couleuvres mortes
Se vider sous un ciel de feu.

Sans eau, plus de rouges automnes !
Partout en France, c’est la nuit.
Plus de vendanges ! tout est cuit.
Plus de vin chantant dans les tonnes !

Adieu les fastueux coteaux,
Pourpre et or ainsi que des chapes !
Autour des ceps non plus de grappes
Que sur des manches de couteau.

Plus de cabarets sous les treilles !
Et que boiriez-vous, dites-moi,
Ivrognes de malheur ? Et quoi
Mettriez-vous dans les bouteilles ?

Crions donc en chœur : Vive l’eau !
L’eau dont le bon Soleil lui-même
Consent à faire son carême,
Pour nous la rendre en picolo.

Vive l’eau courante des fleuves !
L’eau qui sommeille au fond des puits,
La rosée intime des nuits,
La pluie animant les fleurs neuves !

Vive l’eau des lacs, des ruisseaux !
L’eau des fontaines, l’eau des sources,
Où, la nuit, vont boire les ourses,
Et, le jour, les petits oiseaux !

Vive l’eau, là-bas, vers les saules,
Qui baigne avec amour les lis
Et les roses de nos Philis.
C’est même un de ses plus beaux rôles.

Oui, que l’eau vive à tout jamais !
Je sais qu’elle se meurt de honte
D’être l’eau, mais au bout du compte,
La malheureuse n’en peut mais.

Il faudrait être plein de vice
Pour ne la point prendre en pitié.
Moi, qui ne l’aime qu’à moitié,
Comme elle rend quelque service,

Je jure sur mon lavabo,
Devant le Seigneur qui m’écoute,
D’en boire parfois une goutte,
Quand il pleuvra sur mon tombeau.
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