Raoul Ponchon


Vers de Noël

Au diable la poésie,
Mon ami Ponchon,
Mangeons avec frénésie
Du rose cochon.

Est-ce que Noël, poète,
Ô fleur des couyons,
N’est pas la plus belle fête,
Dis ? que nous ayons ?

En se montrant sur la paille
Tel un fin jambon,
Jésus dit : « Faites ripaille,
Le moment est bon.

Seigneurs ou pauvre canaille,
En ce jour divin
Mangez de la cochonnaille
Et buvez du vin :

Le vin réchauffe et l’eau mouille. »
Il dit, et soudain
Des kilomètres d’andouille
Et de noir boudin

— Ainsi fait la folle vigne —
Fleurissent partout.
Ô spectacle vraiment digne,
Consolant surtout !

Du salon jusqu’à l’office,
En chaque maison
Ce n’est que de la saucisse
Et du saucisson.

Des charcutiers admirables
Le galant métier !
En est-il de plus aimables
Dans le monde entier ?

Maîtres qu’un lard pur enflamme,
Ils font de leurs doigts
Tout ce qu’ils veulent, madame,
Tant ils sont adroits ;

J’en prends à témoin quiconque !
Ces braves gens-là
Prennent un cochon quelconque
Et disent : « Voilà.

Voilà mille bonnes choses,
Pâtés, jambonneaux,
Voici des lis et des roses,
Mes petits agneaux. »

Par la papale fressure !
Avec — (ça c’est beau !)
Du cochon, je vous assure,
Certains font du veau.

À cette époque de joie
Que nous célébrons,
On voit d’elle-même l’oie
Chier des marrons.

La dinde, sombre tartuffe
Ordinairement,
Court au-devant de la truffe
— Fer de cet aimant !

Les bouteilles toutes seules
Montent l’escalier,
Ivres de rincer nos gueules
Et notre gosier.

Les rouges rôtisseries
Flambent ; le mois d’août
N’a pas plus de pierreries.
C’est beau comme tout.

Les huîtres — moules du riche
Jusqu’à cette nuit
Dans le sein de la bourriche
Ont bâillé d’ennui.

Huîtres, ne pleurez pas, folles
Que vous êtes, car
Vous ferez des cabrioles
Ce soir, sur le tard !

De la cave à la cuisine
Je vois tout en l’air,
Les jambes de ma cousine
Tout d’abord, c’est clair.

Ah ! s’il ne faut que bien boire
Et que bien manger
Pour complaire au dieu de gloire,
Je vais y songer.

Pour l’instant je n’ai pas — diable !
Le moindre appétit,
Mais l’appétit vient à table
Petit à petit.

Je veux que ce soir ma bouche
Fatigue ma main.
À Noël je ne me couche
Que le lendemain.
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