Était un’ fois quatr’ modèles,
Sarah, Suzanne, Manon,
Et la quatrième d’elles
C’était Yvonne son nom.
L’une châtain, la seconde
Rousse comme du pain cuit ;
Si la troisième était blonde,
La der on eût dit la nuit.
Et chacune était très belle,
L’une et l’autre étant bonne à
Tout faire en tant que modèle,
Chez Henner ou chez Bonnat.
Elles posaient la Madone
Ou la mère de l’Amour,
Ou bien ta « fin, Babylone »,
Sinon Ève au premier jour.
Un beau jour, on les invite
À ce bal dit « des Quat’-z-Arts » ;
Elles acceptent bien vite ;
S’amuser ! par quel hasard !…
— Puisque nous sons des modèles,
Que nous travaillons pour l’Art,
Il faut mettre, disent-elles,
Un costume un peu flambart.
La première s’était mise
Simplement, sans falbalas,
N’ayant rien qu’une chemise
Qu’elle portait sur son bras.
La deuxième était vêtue
D’une rose dans la main ;
On eût dit une statue
Qui doit s’habiller demain.
La troisième, ah ! la troisième !
Fallait la voir, voyez-vous ;
Elle avait — Dieu, que je l’aime !
Des anneaux d’or aux genoux.
La der avait un costume
Quelque peu… zizi panpan :
Dans les cheveux une plume
Que l’on veut croire de paon.
Au bal on leur fit des fêtes
À peine franchi le seuil ;
Elles étaient si bien faites
Qu’on se rinçait — combien ! — l’œil !
Tout à coup passe un vieil homme,
Un vieil homme pas très beau ;
Il ne tenait pas de pomme,
Mais à la main son chapeau…
Il accoste la première
Et lui demande pourquoi
Cette toilette légère ?
Elle répond : Quoi ! de quoi ?
Sache que je suis modèle,
Ce qui fait que mon métier
Est — d’autant que je suis belle
De montrer mon corps entier
Il demande à la seconde :
— Et toi ? — Moi, vilain magot,
C’est parce que je suis blonde
Et qu’il fait bigrement chaud.
Il demande à la troisième :
— Pourquoi si peu te vêtir ?
Elle dit : — C’est un problème
Que je ne puis définir.
Il interroge l’ultime
Qui dit : — Moi, c’est différent,
J’ai pas même le centime
Qui commencerait un franc.
Alors, lui, pris d’un beau zèle,
Prit aussitôt huit mouchoirs
Dont il cacha de nos belles
Les huit seins qu’il ne put voir.