Cappiello, mon bon ami,
Ce portrait, dessiné trop vite,
Ne me ressemble qu’à demi,
Bien que le génie y palpite.
Vraiment, par le Dieu d’Isaac
Je ne croyais pas, je te jure,
Ressembler autant à Reinach,
Cela lui soit dit sans injure.
Je sais bien que tu me diras :
« On ne se connaît pas soi-même ».
Mais, franchement, suis-je aussi gras ?..
J’en aurais une peine extrême.
Sans être maigre comme un loup,
J’attends que la graisse me vienne ;
Je bedonne un peu, voilà tout,
C’est rapport à mon hygiène.
Je n’ai pas ce cou de taureau,
Dont se prévaudrait un hercule ;
Sur un corps de mon numéro
Ce serait plutôt ridicule.
Tu me fais des mains d’assassin,
Moi, de qui les doigts sont si vagues,
Qu’à peine, et malgré mon dessein,
Je les puis illustrer de bagues.
Mais, qui m’a le plus contristé,
Vois-tu, dans ta caricature,
C’est l’air dur que tu m’as prêté.
Il n’est du tout dans ma nature.
D’abord, je n’ai pas, tant s’en faut,
La moustache aussi provocante ;
Avec ces crocs à la prévôt,
J’ai l’air d’en défier cinquante.
C’est de moi beaucoup présumer,
Qu’un vol d’abeilles effarouche,
Et qu’une rose fait pâmer.
Je n’ai pas non plus cette bouche
Dédaigneuse, je te promets,
Surtout quand je regarde un verre…
De plus, pour personne, jamais
Je n’eus le droit d’être sévère.
Et je n’ai pas non plus cet œil
De magistrat dans son prétoire.
Il est de bien meilleur accueil.
Viens y voir, si tu n’y veux croire.
Tu ne m’as jamais abordé,
Sans quoi, tu saurais que ma haine
Tiendrait aisément dans un dé,
Sans que cette coupe soit pleine.
Le front… est par trop important,
Pour mes ordinaires pensées ;
Il n’en roule pas tant et tant,
Encor lui fous-je des fessées.
Le chapeau ?.. très bien, le chapeau.
Le voilà tel que je le porte.
Quant à l’absinthe, ô Cappiello !
Tu me l’as servie un peu forte.
Et puis, n, i, ni, c’est fini.
Et je te fais une risette,
Pour m’avoir, à propos, fourni
Le sujet de cette gazette.