Raoul Ponchon


Poète Prix de Rome

Enfin, te voilà prix de Rome,
poète ! Quatre ans durant,
Tu devras rimer, mon bonhomme,
Sous l’œil de Carolus Duran.

Tu vas me dire : « Pour quoi faire ?
Ne puis-je pas rester ici ?
À quoi bon changer d’atmosphère ?
On rime partout, Dieu merci !

Je veux qu’on me réduise en poudre,
Mon pauvre ami, si j’en sais rien.
Et pourtant, il faut te résoudre
À quitter Paris — pour ton bien.

Une résidence choisie
Sous un ciel pur, t’attend là-bas.
Un atelier de poésie
Également t’y tend les bras.

On y voit toute une série
De lyres, prêtes à frémir.
Un Pégase dans l’écurie,
T’espère… je l’entends hennir :

Songe que l’on t’envoie à Rome,
Non pour y faire ton lézard,
Mais pour devenir un grand homme.
Ni plus ni moins que tout « Quat’z’Arts .

Tu feras, en littérature,
Ce que ces messieurs, tes copains
En peinture comme en sculpture,
Font chez les maîtres Transalpins.

Et, de même que l’un copie
Raphaël, l’autre Léonard…
Toi, poète, d’une âme pie,
Tu devras t’inspirer de l’art,

Et de l’Arioste et du Tasse.
Sinon du divin Arétin.
Tu rimeras, d’après Boccace,
Quelque vieux conte libertin.

Il conviendra que tu t’escrimes,
Cela va sans dire, pardi !
Sur Dante et sur ses tierces rimes.
Un peu moins sur Leopardi.

Entre temps, je ne doute mie
Que tu sauras — je te connais
Rimer sur ta petite amie
Quelques platoniques sonnets,

Tel Pétrarque ! Et donc, quatre années,
En cette villa Médicis,
Tu rouleras tes destinées.
Et tu nous reviendras, mon fils,

De la terre Virgilienne,
Ivre de gloire et de succès,
Expert en langue italienne,
Mais ne sachant plus le français !
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