Raoul Ponchon


Les Fables de La Fontaine

Non plus qu’à la foire aux ferrailles,
On ne fait guère de trouvailles
Sur les quais, en tant qu’Elzévir,
Gryphe, Aide Manuce, incunables…
Ce ne sont que bouquins minables
Aurait-on un flair de tapir.

Jadis, on avait de ces veines,
De ces magnifiques aubaines,
Si j’en crois tel ancien récit.
Mais, à défaut de livres rares,
On en rencontre de bizarres
Quelquefois, témoin celui-ci :

C’est les « Fables de La Fontaine
Que, dans sa triste turlutaine,
Certain seigneur grammairien
Mit en bon français — c’est-à-dire
Son français à lui… Pauvre sire !
Comme vous voyez, c’est un rien.

Autant dire que ce puriste
Enlève à notre fabuliste
Tout son charme primesautier,
Son esprit, sa clarté, sa grâce,
Et ce qu’il nous met à la place,
Est bien fait pour stupéfier !

Imaginez, en quelque sorte,
L’aigle revu par le cloporte…
Hugo réduit par Campistron…
— Encore croyez que je gaze
Ou bien, si vous voulez, Pégase
Déplumé par Aliboron.

Mais, puisque ledit gentilhomme
A lu les fables du Bonhomme,
Afin de les remettre à neuf,
Que n’a-t-il pris, la pauvre andouille !
Pour lui, celle de la grenouille
Qui tâche à s’égaler au bœuf ?…
Hélas ! le cas n’est pas unique
Chez nous, de ce baron cynique ;
Et l’on ne saurait dénombrer
Tous les contempteurs de la Lyre,
Dont beaucoup ne savent pas lire.
Mieux vaut en rire qu’en pleurer.

Censeurs que le Génie énerve,
Exerçant leur sombre minerve
Sur des chefs d’œuvre indiscutés,
Pour, avec leur loupe risible,
Y trouver une erreur possible,
Sans s’attarder à leurs beautés,

Ah ! plaignons ceux dont la manie
Est de reviser le génie,
Et qui n’ont pas d’autre souci.
Et, sans insister davantage,
Moquons-nous de leur radotage.
Autant grêler sur le persil.

Ces terribles raseurs du Temple
Font l’effet de gens — par exemple
Qui n’auraient d’autre opinion
Sur le paon, malgré son plumage,
Que celle-ci — de son ramage,
C’est un oiseau qui dit : « Léon ».
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