Raoul Ponchon


Les Cabaretiers de Firminy

Les Firminiens, sur ma foi,
Seraient de vrais bélitres,
S’ils se laissaient mener par toi,
Qui surveilles leurs vitres,

Ô Lafont ! un cabaretier
Est, à coup sûr, le maître
Chez lui, comme le charbonnier.
De même, j’ose émettre

L’avis que ses clients, au fond.
Constituent sa famille.
Tel est le principe, mon bon,
Ou que l’aze me quille !

Le bistro vend, le client boit.
Voire, ils boivent ensemble,
Souvent. Ce n’est pas là de quoi
S’effarer, il me semble.

Eh bien donc, si pour boire en paix,
Ils veulent se soustraire,
Derrière des rideaux épais,
Aux regards téméraires…

N’est-ce pas leur droit le plus strict ?
Ô maire trop barbare !
Comme d’ailleurs, en tout district
De France et de Navarre.

Aussi bien, tes Firminiens
Ne te l’envoient pas dire ;
De tes décrets draconiens
Ils ne font que sourire ;

Car, à part de spéciaux cas,
Ils se fichent, j’espère,
D’être vus ou ne l’être pas.
Tu parles ! mon compère.

Pour moi, quand je bois comme un trou,
Au café, d’aventure,
Peu me chaut d’être derrière ou
Devant sa devanture.

C’est selon la nécessité :
Je fuis l’ardeur solaire,
Comme la volaille, en été.
Sauf que c’est le contraire :

Ainsi, par la forte chaleur,
Je reste à la terrasse,
Et ne vais à l’intérieur,
Que par un temps de glace.

Or, que je sois dehors, dedans,
Lafont, tu peux m’en croire,
Je ne suis pas de ces feignants
Qui se cachent pour boire.

Et quand encore me verraient
Tous les maires de France,
En train de boire et me feraient
Une âpre remontrance,

J’en prends tous les Dieux à témoins,
Qui peuvent me connaître,
En boirais-je un verre de moins ?
Non… deux de plus, peut-être.
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