Raoul Ponchon


Le Vin du Pape

Ce pape-là me renverse,
Qui, dans un accord divin,
Sait joindre à son saint commerce
Celui de marchand de vin.

Je ne sais rien de plus digne :
Répandre sous le ciel bleu
L’auguste sang de la Vigne,
Avec le verbe de Dieu !

Mais laissons là le pontife.
Parlons du marchand de vin.
Une chose m’ébouriffe
Toujours d’un marchand de vin ;

Et je me demande, comme
Le sage Khèyam, souvent,
Quoi peut acheter cet homme
De meilleur, que ce qu’il vend ?
Écoutez, buveurs insignes !
Vous auriez cent fois juré
Que le Pape avait des vignes
Superlatives… pas vrai ?

Et pour tout dire, papales,
Capables d’un vin en or,
Dignes de Sardanapales,
Non seulement, mais encor

De son sacro-saint ciboire !
Si bien que vous vous disiez :
Dieu ! que l’on voudrait en boire !
En tapisser son gosier !
Or, sa vigne est ridicule,
Chétivement elle croît
Dans le vague crépuscule
D’un bâtiment morne et froid,

Et le long d’un mur morose
Comme un air d’accordéon.
Autant vouloir qu’une rose
Fleurisse dans l’Odéon.

Il en tire quelques litres
D’un vin âpre, aigre, dur, sûr
À faire grincer les vitres,
À déconcerter l’azur ;

Une piquette hérétique,
Un infâme reginglard,
Sans âme, sans esthétique,
Sans rien là, comme Abélard.

Et propre à salir la nappe
Tout au plus, d’un cabaret ;
Jamais le gosier d’un pape
Ne s’en accommoderait.

N’en voulant pas pour sa table,
C’est bien pourquoi — nous dit-on
Il vend ce vin impotable,
Pour s’en acheter du bon.
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