Ô Dames belles et honnestes,
Venez voir mes beaux éventails
Jusque dans leurs moindres détails ;
Ils ont appétit de vos gestes
Et réclament la volupté
De caresser votre beauté.
J’en ai de plus de cent manières,
D’au moins mille et une façons ;
J’en ai pour les vieux polissons
Comme pour de jeunes rosières :
Approchez, faites votre choix,
J’en ai même pour les bourgeois !
Les uns sont en nacre, en ivoire,
En écaille blonde, en santal,
Et d’un travail oriental
Si fini qu’on ne peut y croire.
D’autres sont peints par des malins,
Sur des satins et des vélins.
Ils sont frais comme votre bouche,
Madame, et légers, — oh légers
Comme des rêves de bergers
Ou des colères d’oiseau-mouche ;
Si légers qu’à peine vos doigts
Sauront en distinguer le poids.
Veuillez considérer la trame
De celui que vous tenez là,
Madame, est-ce pas beau cela ?
C’est à peine s’il pèse un gramme,
Et pour votre petite main,
Il est comme un brin de jasmin.
Aimez-vous mieux cette merveille
De grâce et de fragilité ?
Cet éventail, en vérité,
Tenez pour certain qu’une abeille
Le briserait en s’y posant ;
Un rien lui serait trop pesant
Cet autre, fait d’une dentelle,
Peut cacher un trouble charmant
À tout autre qu’au jeune amant
Qui d’amour féru dit : C’est elle !
Lui qui sait votre œil assassin
Et l’aurore de votre sein.
Belles, tombez à la renverse.
Ceux-ci, qui valent dix Pérous,
Je vous les donne pour cent sous,
À seule fin que mon commerce
Me permette, les jours d’été,
D’aller boire à votre santé.
Hélas ! faut-il que je vous aime
Pour vous les céder à ce prix !
J’en suis tout le premier surpris,
Et soyez sûres que moi-même,
Si je n’étais pas le marchand,
J’en achèterais sur-le-champ.
Cet éventail de marquisette
Appartint à la Pompadour.
Je vous le donne, mais en pour
Vous me ferez une risette
Et me donnerez un baiser.
Pourrais-je à moins vous le laisser ?
Une miraculeuse flore
S’épanouit sur celui-ci.
Un Japonais de loin d’ici
Sous ses pinceaux la fit éclore :
Il lui manquait l’essentiel,
Un rayon de vos yeux de ciel.
Celui-là tout entier en plumes ;
De joie et de lasciveté
Autour de votre honnesteté
Frémira comme des écumes.
Les zéphirs les plus amoureux
Viendront vous disputer entr’eux.
Ah ! par ma fine, ma commère,
Nous arrivons aux objets d’art :
Sur cet éventail, Fragonard
A peint la divine chimère :
On y voit de jeunes amours
Qui jurent de s’aimer toujours.
Ici les palettes fleuries
De Boucher, Lancret et Watteau
Y mènent l’Amour en bateau
Au pays des galanteries…
Et puis, écarquillez vos yeux,
Car voici le plus merveilleux.
Il vient de Marie-Antoinette,
Lorsques en de royaux pourpris
Elle paissait Grâces et Ris
Au beau temps qu’elle était jeunette.
Cet éventail n’a pas de prix,
Mes belles dames de Paris !
Passons à cet autre un peu leste,
Il vient d’une grand’mère à moi
Qui fut des mieux avec le Roi.
Ah ! nos grand’mères, malepeste !
(Dieu les garde sous les cyprès !)
N’y regardaient pas de si près.
Préférez-vous la poésie ?
J’ai des éventails précieux ;
Des poètes aimés des cieux
Et d’une élégance choisie
Y mirent des vers sur vos yeux,
Mesdames, et sur vos cheveux.
Eh bien, ceux-là, quoi qu’on en dise,
Sont mes éventails les moins chers ;
Justement à cause des vers,
C’est ma plus veule marchandise.
Les poètes, vous savez bien,
Donnent toujours leurs vers pour rien.
Et maintenant, honnestes dames,
Que vous m’avez tout acheté,
Que Dieu vous garde la beauté,
Donne le salut à vos âmes ;
Moi qui viens de parler beaucoup,
Je vais de ce pas boire un coup.