Raoul Ponchon


La Formule 606

Ainsi que le disait notre François premier :
« Souvent femme avarie »
Il en sut quelque chose, étant fort coutumier
De la galanterie.

Il fut donc affligé de ce mal dont Brieux
Tellement s’inquiète ;
Mal qui nous vint de Naple, assurent nos aïeux,
Qui firent sa conquête.

Et puis, ça n’était pas la petite… comment
Dirai-je ?… mais la grande
Qu’il avait, la majeure, et tout le tremblement.
Si j’en crois la légende.

Chez les grands tout est grand — comme dit la chanson.
La belle Ferronnière
L’avait royalement servi… d’une façon
Toute particulière.

Il eut beau consulter des docteurs, nécromants,
Mires et thaumaturges,
Ils savaient, tout au plus, donner des lavements,
Administrer des purges.

Que vouliez— vous qu’il fît contre eux tous ? Qu’il mourût !
C’est ce qu’il fit, du reste.
Des microbes affreux le mangèrent tout cru.
Tel fut son sort funeste.
Ah ! que n’a-t-il vécu, ce bon roi, de nos jours !
Il eût pu, sans encombre,
En cent endroits divers varier ses amours.
Paix à sa royale ombre !

Aujourd’hui, grâce à la formule six-cent-six,
Qui nous vient d’Allemagne,
Le plus « avarié » peut, même « in extremis »
Se remettre en campagne…

C’est le docteur « Ehrlich » qui le dit, Quant à moi,
Qui suis le moins chimiste
Des hommes, si je peux seulement dire en quoi
Sa formule consiste,

Dont il va prétendant le Codex enrichir,
Je veux bien ne plus boire
Que du lait, dans lequel on fait de l’eau vichyr,
Jusqu’à mon purgatoire !

Je n’en suis, je dois dire, autrement curieux.
Ce doit être, je pense,
Le produit excellent, rare et mystérieux
D’une chimie intense…

Cependant, nos docteurs, — on les reconnaît là —
Plus têtus que des mules,
Ne considèrent pas que ce soit du tout la
Meilleure des formules.

Ce qui fait croire qu’ils en ont certainement
Une six-cent-septième,
Valant celle, dix fois, du docteur allemand,
Sur qui soit l’anathème !

« Nous avons essayé ce fameux six-cent-six,
Sur quinze cents malades »
Disent-ils — « Il en meurt à peu près neuf sur dix !
Quelle dégringolade ! »

À quoi le sieur Ehrlich répond : « Hé ! mes chéris.
À quoi bon cet esclandre ?…
Ils meurent, je veux bien, mais ils meurent… guéris.
Le tout est de s’entendre.
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