Raoul Ponchon


Fleurs

Ton œil ne peut saisir les fleurs que tu fais naître
Quand tu daignes fouler le sol ;
Il faut avoir mon cœur, vois-tu, pour les connaître
Il faut t’aimer d’un amour fol.

Elles soûlent mes yeux et je puis te les dire ;
J’en connais le parfum aussi ;
Il est plus inouï que tout ce qu’on respire,
Si tu veux leurs noms, les voici :

Ce sont d’abord des lis d’une blancheur suprême
Tels qu’il ne s’en trouve qu’aux cieux,
Élégants comme toi, purs comme ta chair même
Et comme toi délicieux ;

Ce sont de fins muguets dont les clochettes blanches
Pareilles à tes claires dents
Tintinnabulent comme en Avril, dans les branches,
Le rire argentin du Printemps ;

Ce sont des liserons, ce sont des églantines,
Des pavots qui vont s’embraser,
Et des roses pompon aux bouches enfantines
Qui te réclament un baiser ;

Ce sont des boutons d’or et puis des chrysanthèmes,
Des pervenches et des barbeaux
Aussi bleus que tes yeux qui le sont plus eux-mêmes
Que le ciel : pense s’ils sont beaux !

Des menthes, des œillets et de la marjolaine,
Des parfums de toute saison
Qui mettent sur ma lèvre un peu de ton haleine
En me prenant de ma raison ;

D’ardents coquelicots, de sourdes scabieuses
Qui veulent des mains de velours
Pour les cueillir ; fleurs qui, de ta grâce envieuses
Ont près de toi des gestes lourds.

Ainsi comme l’on voit à la naissante aurore
Croître une à une les couleurs,
De même on voit germer et se hâter d’éclore
Sur ton chemin toutes les fleurs.

Mais la terre aussitôt redevient morne et nue
Quand tu n’y poses plus tes pas
Bienfaisants ; ce n’est plus pour moi qu’une inconnue :
Rien ne fleurit où tu n’es pas.
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