Raoul Ponchon


Étrennes inutiles

Ô Juges, mes petits pères,
Vous êtes par trop sévères
Pour cette jeune houri,
De la mère Angot filleule,
Encor qu’elle vous engueule
Comme du poisson pourri !

Mon Dieu ! son vocabulaire
N’a rien qui vous puisse plaire.
Il est bien certain que si
C’est là toutes vos étrennes,
Vous n’aurez pas les mains pleines,
Au Jour de l’An. Mais aussi,

Songez que cette fillette
A l’âge de Juliette ;
Qu’elle attend son Roméo,
Qui sait ?… Qu’elle ne discerne
Pas encore une lanterne
D’un nègre de Bornéo ?…

Il n’est injure notable
Que d’un être responsable,
Et celle-ci ne l’est pas.
Elle vous l’a fait connaître,
Ô Juges ! qui pourriez être
Ses papas et grands-papas.

Tout dans ses propos annonce
Qu’elle ne possède une once
De saine mentalité.
Donc, ce soi-disant outrage
Ne saurait porter ombrage
À votre sérénité.

Comme feraient des apaches,
Elle vous traite de « vaches »
De « tantes » et de « fumier
Qu’est-ce que cela veut dire ?…
Ne vaut-il pas mieux sourire
À ce jaspin coutumier ?

Elle n’est que déroutante,
Cette gosse. Appeler tantes,
Des êtres poilus, velus !
Traiter de vaches, des hommes,
Quand vous n’êtes guère, en somme,
Qu’oncles et bœufs, tout au plus !

Tout ça n’a pas d’importance,
Ni ne tire à conséquence.
Vous le savez bien aussi.
Et puis, magistrats intègres,
Vous n’êtes pas les seuls nègres
Qu’on aura traités ainsi.

Tenez, moi, fils de famille,
Si chaque fois qu’une fille
M’ayant appelé fumier
M’eût fait cadeau d’une « thune
J’estime que ma fortune
Monterait jusqu’au premier !
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