Raoul Ponchon


Entente cordiale

Dès que Fallières eut débarqué
Sur le sol d’Angleterre,
Son vieil Édouard, sur le quai,
Lui dit : « Et bien, gros père,
A-t-on bien vomi ? …
Pardon… bien dormi,
En traversant la Manche ?
— Sire, comme un noir…
Pardon… comme un loir,
Tout en faisant la planche.

— Parbleu ! voilà qui est parler.
Mais, à part ça… j’espère
Que ça va comme vous voulez ? …
Votre teint est prospère.
— Oui, ça va, ça vient,
Comm’la queu’ d’mon chien
Mais vous-même, si j’ose…
Mon cher Édouard,
Vous êtes flambard
Comme de noce un… chose.

— Oui donc. Je suis assez content.
Je me sens très en forme.
Il faudra, d’ici peu de temps,
Que dans Paris je dorme.
Car Paris, ma foi !
Est le seul endroit
Où je suis à mon aise.
Et puis, n… de D…
Rien n’est « bath au pieu »
Comm’ vos sacré’ Françaises !

— Mais, à propos, mon Président,
Et cette vieille vigne ?…
Aurons-nous un vin abondant,
Cette année, et plus digne
Que le Loupillon
— Sauf respect, mon bon, —
Que vous m’avez fait boire
Tout dernièrement ?
Véritablement
Il m’a f…ichu la foire. »

— Ah ! Sire, ne m’en parlez pas,
Il me vient des nouvelles
Plutôt fâcheuses de là-bas.
La saison fut cruelle.
Si bien que le vin,
Que, cet an prochain,
Vous boirez chez moi, Sire,
(Si j’ai cet honneur)
Sera, par malheur,
Peut-être encore pire.

Conduire un peuple, ça n’est rien.
Qu’une simple aventure…
Mais quel métier de galérien
Que la viticulture !
Que de tact, de soin,
La Vigne a besoin !
Il faut s’occuper d’elle
Sans relâche, étant
Délicate autant
Comme une demoiselle.

J’ai mis quarante ans, environ,
C’est à peine croyable,
Pour devenir un vigneron.
J’ose dire passable,
Tandis, quand je fus,
Flanqué de mes fûts,
Sur le trône de France,
Sans m’évertuer,
J’appris le métier
Rien qu’en une séance.
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