Raoul Ponchon


Distique étrusque

Vous saviez, n’est-ce pas ? que jusque
À ces jours-ci, la langue étrusque
Laissait à ce point interdits
Nos savants les plus érudits,
Qu’elle n’était, à les en croire,
Qu’un indéchiffrable grimoire.

— « Nous sommes pourtant — disaient-ils
Des polyglottes fort subtils
Et d’incomparables linguistes ;
Il n’est « sabir » qui nous résiste ;
Nous avons la prétention,
Nous autres, des « Inscriptions »,
De pénétrer toutes les langues,
Les plus mortes, les plus exsangues,
Et l’on nous doit quelque crédit,
Si donc cet étrusque maudit,
En tant que langue nous échappe,
Nous pouvons, sans risquer beaucoup,
Affirmer qu’il n’est qu’un attrape-
Nigaud, inventé, tout d’un coup,
Par une folle créature,
Pour donner de la tablature
À tous les lettrés à venir. »

Ainsi parlaient nos polyglottes,
Sans plus de ce jargon languir
Que de leur première culotte.
Ils s’en tenaient là, quand voilà
Qu’à leur réunion dernière
Sous la Coupole familière,
L’un d’eux, dit : « Messieurs, halte là !
Je viens de traduire un distique
De ce langage étrurien.
Il n’a rien d’apocalyptique,
De Mallarméen… Aussi bien,
Admirez ce qu’il signifie,
En sa douce philosophie :

« Le Vin, pour noyer le chagrin
Est un remède souverain ».

— « Eh bien ! au moins c’est laconique,
— Fit un autre savant docteur
La peste soit de ce distique,
Comme de son Étrusque auteur !
Certes, le Vin est un vrai baume,
Mais il me semble superflu
De connaître un patois de plus,
Qui formule un tel axiome. »
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