Raoul Ponchon


Conte

Était une fois un pauvre homme
Qui n’avait jamais bu de vin.
« Allons donc ! » direz-vous. C’est comme
J’ai l’honneur… C’est bizarre ! Enfin,

Il vivait quand même, il faut croire
Bien que ce soit mourir un peu,
À mon avis — de ne pas boire
De ce joli Vin du Bon Dieu.

Or, un jour, disent les chroniques.
Son roi, vrai roi d’Eldorado,
Fit dans les fontaines publiques
Couler du pinard au lieu d’eau ;

En jurant sur son diadème,
Que celui qui n’en boirait pas,
Jusque y compris le plus abstème,
Serait pendu la tête en bas.

Il but donc du vin, le bonhomme,
Comme tout le monde. Et voilà
Qu’en son pâle sang de pauvre homme
Le rouge nectar circula.

Il but un verre, un second verre,
Et que d’autres !… bien entendu.
Songez qu’il avait fort à faire
Pour rattraper le temps perdu.

Si bien qu’au fur et à mesure
Qu’il buvait, il rajeunissait ;
Et, comme l’histoire l’assure,
La sagesse alors lui poussait.

« Oui, tu es une eau de Jouvence,
Ô vin ! Étais-je assez niais —
Disait-il — hélas ! quand je pense
Qu’hier encor je te niais !

« C’est toi la boisson merveilleuse
Entre toutes. J’ajoute que
Tu m’es cent fois plus précieuse
Que mon bras gauche, N. de D… ! »

Et, pris d’une folie amère
Avant qu’on pût l’en empêcher
À l’aide d’un couteau sommaire,
Ce « pied » courut son bras trancher.

Zèle intempestif, on veut croire.
Le bras gauche étant indiqué,
Quand ce ne serait que pour boire,
Lorsque le droit est fatigué.
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