Raoul Ponchon


Cochons de bois

Je ne me suis amusé guère
À cette foire de Neuilly.
Serait-ce que depuis la guerre
J’aurais autant que ça vieilli ?

C’est fort possible. Quant à elle,
Elle est la même assurément.
Sa jeunesse est sempiternelle,
C’est d’où vient son peu d’agrément.

Jamais d’invention nouvelle.
On peut dire que nos forains
Ne se mettent pas en cervelle
Pour leurs clients contemporains.

Mêmes lutteurs, tourniquets rosses
Où l’on ne peut gagner jamais,
Mêmes jeunes filles colosses
Pour qui, jadis, je m’enflammais…

Mêmes lions morts que l’on dompte…
Dioramas, panoramas…
Enfin — dirait Monsieur le Comte
Mêmes ramassis de ramas.

Pourtant qu’exception soit faite
Pour un jeu de chevaux de bois
Qui fut l’âme de cette fête
Et fit courir Paris un mois.

Qu’avait donc cette manivelle
De si attrayant que cela ?
Pourquoi sa vogue ? Qu’avait-elle
De plus que les autres ? Voilà :

C’est que — sous vot’ respect — mesdames,
Les chevaux étaient des cochons.
Tout dépend, n’est-ce pas, ô femmes !
Du dada que nous chevauchons.

Donc, pendant de longues soirées,
Tout notre extra-dry, nos comm’ifs,
Toutes nos ceintures dorées
Et tous nos dessus de fortifs

Firent connaître un tel délire
Pour ces petits cochons de bois,
Que le cornac devait leur dire :
Ne montez pas tous à la fois.

Et pourquoi ce délire ? Eh ! parce
Que le cheval a fait son temps…
Que le cochon est bien plus farce…
Qu’il représente le… Printemps…

Que le Tout-Paris qui s’amuse
Et qui n’a pas d’autre souci,
A pris le cochon pour… sa muse,
Et son palladium aussi,

Parce qu’il en fait sa pâture
Et qu’il le dorlote en son cœur,
que toute sa littérature
Relève du cochon vainqueur !

Or, moi, d’invention seconde,
Mais qui connais le cœur humain
Autant que psychologue au monde,
Je songe aux besoins de demain.

Le cochon deviendra morose
À la fin, fini, réprouvé ?…
Il faudra trouver autre chose…
Eh bien ! je crois que j’ai trouvé :

Comme il appert, sans plus d’enquête,
Que, chez ce cochon de Français,
Plus la monture sera bête
Et plus elle aura de succès ;

Sans quitter cet ordre d’idées,
Je sais un animal de sport
Qui dépasse de cent coudées
Le cheval, et l’homme, et… le porc.

je dis : la guitare sans manche
Sur quoi les femmes font dada,
Les autres jours et le dimanche,
En Chine comme au Canada…

Eh bien, faites-en un manège,
Vous serez riche dès demain.
Hélas ! pauvre de moi, que n’ai-je
Quelques capitaux sous la main !
174 Total read