Raoul Ponchon


Cabarets du Dimanche

Par les déesses et les Dieux !
Est-il rien de plus odieux
Que les cabarets, le dimanche,
Ou tout autre jour férié ?
On rêve d’être expatrié
De l’autre côté de la Manche.

Tous les cafés de bas en haut,
Jusqu’au moindre, sont pris d’assaut
Par une folle clientèle,
Dont c’est le seul jour de gala,
Et qui, justement pour cela,
Y trouve un agrément — dit-elle !

Je veux bien que pour les patrons
Ce supplément de biberons
Soit une appréciable aubaine ;
Mais les clients habituels,
Quotidiens, essentiels,
C’est ceux-là qui n’ont pas de veine !

Voyez comme ils ont l’air marri.
Ils n’ont pas leur coin favori.
Il est pris par une famille.
Et leur manille, alors ?… Bonsoir !
Ils pourraient boire sans s’asseoir,
À la rigueur, mais… la manille ?

Et les clients affluent toujours.
L’atmosphère, sans nul recours,
Devient irrespirable, immonde.
Est-ce que, d’ailleurs, un café,
Serait-il dix fois occupé,
A jamais refusé du monde ?

L’huis ne cesse donc de s’ouvrir,
Et les courants d’air de courir.
Le patron, tout à sa recette,
Installe les nouveaux clients
Sur vos genoux conciliants…
Il vous en mettrait sur la tête.

J’entends des gens me dire : « Mais,
Sale égoïste que tu es,
Est-ce qu’un café, somme toute,
N’est pas une façon d’endroit
Neutre, où tout le monde a le droit
De pénétrer ? » Eh oui ! sans doute.

Je le regrette, voilà tout.
Je voudrais que ce fût surtout
Le lieu réservé, solitaire,
Où viennent leurs chagrins noyer,
Ceux-là qui n’ont pas de foyer,
Les obstinés célibataires.

Et j’ajoute encore ceci :
Au célibataire endurci
Le café tient lieu de famille.
Et voilà d’où vient son ennui ;
Il se croit harcelé chez lui,
Quand le dimanchard y fourmille.

Certes, si tous les caboulots
Étaient inflexiblement clos,
Il se marierait davantage,
Quitte — comme je sous-entends
À divorcer de temps en temps…
Mais, Piot, le triste avantage !
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