Raoul Ponchon


À un vieux marcheur

Ô vieux marcheur, épuisé devant l’âge,
Amant volage,
De mes amis,
Toi qui pendant quarante ans, sur facture,
De créatures
Fis un salmis ;

Qui courtisas et la brune et la blonde,
À Trébizonde
Comme à Paris,
Et mis à mal aussi bien les moukères
Les plus vulgaires
Que les houris.

Ne marche plus, il en est temps encore,
Ô minotaure,
Ô vieux marcheur !
Sans quoi, dans peu tu vas, je te le jure,
Donner mesure
Au fossoyeur.

Il est grand temps de fermer ta brayette
Dans ton assiette
Fourre ton blair !
C’est fini, les amours. Mange ta soupe,
Vide ta coupe,
Dis ton Pater.

Dedans ton vin mets un peu de wallace,
Ô Lovelace !
Ô Don Juan !
Ne vois-tu pas que pleure et que demeure
La sixième heure
À ton cadran ?

Ne vois-tu pas que Vénus te réprouve,
Qu’elle te trouve
Un peu vieillot,
Toi, le client des madames Marneffes
Et des quat’z’effes,
Pauvre Hulot !

Pourquoi vouloir aimer en tes décembres
Puisque tes membres
Sont vermoulus ?
Faire pourquoi — puisque ça te harasse
Le coq de race
Que tu n’est plus ?

Je ne te vois pas bien, mon camarade,
Pour ta parade
Comme à London
Mettre — à l’instar de tels fourbus athlètes
Des omelettes
Sur ton bedon,

Pour te donner l’illusion fugace
Que ta carcasse
A le frisson,
Comme au beau temps jadis, près de ces dames,
Ô polygame !
Ô polisson !

Que si tu fus un homme aimé naguère,
Avant la guerre
Un bath au pieu,
Crois qu’à cette heure il n’en va plus de même ;
En toi l’on n’aime
Que l’ancien dieu.

Et, quand tu vas chez la jeune personne
Qui te rançonne
Balbutier,
Ne faut-il pas qu’avant que tu l’embrasses
D’abord tu passes
Chez ton banquier ?…

Hélas ! je vois, pour remonter ta montre,
Qu’il ne se montre
Point d’horloger.
Laisse donc là roublardes ou niaises
Et les punaises
À Béranger.
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