Pour qui réserves-tu le fruit de tes fatigues ?
Que servent les trésors l’un sur l’autre entassés ?
En un jour on verra les héritiers prodigues,
Dissiper tant de biens en cent ans amassés.
LXXII.
La libéralité veut être toute entière,
Sans toutes fois donner en tout temps et à touts,
Il est bon que le son marche avant la prière,
Mais ce que l’on obtient sans prière est plus doux.
LXXIII.
Contente-toi du fruit que ton travail t’apporte,
Et fais de ton épargne un certain revenu :
Imprudent est celui en plus que d’une sorte,
Qui dépense son bien plutôt qu’il n’est venu.
LXXIV.
Le cœur n’a rien de pur qui parmi le monde erre,
Et qui est comme un roc à la terre attaché ;
Si la Lune n’étoit voisine de la terre,
On ne verroit son rond ni brouillé ni taché.
LXXV.
Les biens font de grands maux à celui qui n’en use ;
L’épargnant les acquiert, le prodigue les perd :
Le méchant pour descendre à l’enfer en abuse,
Et pour monter au Ciel le vertueux s’en sert.
LXXVI.
La vaillance qui vient d’orgueil est toute fausse,
Les esprits arrogants ne sont point généreux.
L’orgueil abat les cœurs, l’humilité les hausse,
L’humble Berger tua le Géant orgueilleux.
LXXVII.
L’orgueil sous le manteau du Philosophe éclate,
On donne de beaux noms aux effets odieux :
Comme on s’excuse au mal, en la cause on se flatte,
On accuse plutôt la lampe que les yeux.
LXXVIII.
L’homme d’entendement pour soi-même on visite,
Il est plus admiré qu’un royal bâtiment,
La louange se doit par le propre mérite,
Et le pur or ne fait le prix du diamant.
LXXIX.
L’humble prise les autres, et lui se mésestime,
Sinon contre l’orgueuil il ne fait le morgant :
Plus la vertu l’élève, et moins il s’en estime :
Dieu voit l’humble pécheur, non le juste arrogant
LXXX.
Hypocrite qui n’a du bien que l’apparence,
Parois ce que tu es, sois ce que tu parois,
De feuille de figuier tu caches ton offense :
Mais à Dieu ni à toi cacher ne te saurois.