Pierre Matthieu


Partout la vanité du monde se découvre… [LI à LX] - Po

Partout la vanité du monde se découvre :
Je plains ces beaux esprits charmés de son amour ;
Elle se cache au Temple, elle se montre au Louvre,
Et pour la bien connoître il faut suivre la Cour.

LII.

Par les mauvaises mœurs la nature s’altère,
On n’a pas tout à coup les vertus en dédain,
Le vice est à l’esprit une plante étrangère,
Si on ne la cultive elle flaîtrit soudain.

LIII.

Sous les respects humains l’impiété se couvre,
La terre a plus de prix que le Ciel parmi nous,
Au nom de l’Éternel à peine on se découvre,
Quand on parle des Rois on fléchit les genoux.

LIV.

Du désordre vient l’ordre, et les lois sont sorties
Des excès, des abus : si chacun vivoit bien,
On verroit les Palais sans Juge et sans Parties,
L’on n’y entendroit plus ces deux mots Mien et Tien.

LV.

La chicane aujourd’hui met le peuple en chemise,
La ruse est son bouclier, son idole l’argent :
Le taon perce la toile, et la mouche y est prise,
Le coupable on absout pour punir l’innocent.

LVI.

Rien n’est loyal, le frère à son germain est traître,
Un phatôme est la foi, qui les sots entretient :
L’ami trahit l’ami, le serviteur son maître,
Et le lierre abat le mur qui le soutient.

LVII.

Trahir n’est plus que jeu, l’homme est un loup à l’homme,
Crime n’est plus que rapt, les vices sont vertus,
On souffre les excès de Cypre et de Sodome,
Et à l’impiété tous chemins sont battus.

LVIII.

Aux hommes plus parfaits on trouve que redire ;
Parmi le bien qu’ils font on découvre le mal :
L’or tout pur, ni tout bon, des mines ne se tire,
Il le faut épurer d’un contraire métal.

LIX.

Le mérite autrefois nourrissoit l’amitié,
On la fonde aujourd’hui toute en l’utilité,
La feintise et la fraude y entrent de moitié,
Et toujours sans amis se voit la pauvreté.

LX.

La terre de ton cœur ne peut remplir les angles,
Ton cœur est un triangle, elle un rond tout uni :
Le triangle ne peut s’emplir que de triangles,
L’infini ne se peut rapporter au fini.
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