Le Marinier qui va de naufrage en naufrage,
Qui comme le plongeon vit en l’eau nuit et jour,
L’objet de tous les vents, le jouet de l’orage,
Ne changeroit sa vie à celle de la Cour.
LXXXII.
La Cour te trompe ainsi que l’ange des ténèbres,
Quand il donne aux forciers des feuilles pour trésor,
Les flambeaux plus luisants sont des torches funèbres,
Et tout ce qui reluit à la Cour n’est pas or.
LXXXIII.
Tu voudrois en mourant exercer ta vengeance,
Faire voir ton amour et ton ambition :
Pourquoi ne formes tu ta mort à ta naissance,
Qui t’a produit tout nu de toute passion ?
LXXXIV.
Tu voudrois voir meurir les fruits de ta science,
Mais à la fin cela n’est rien que vanité :
Le savoir aujourd’hui se morfond, l’ignorance
Passe L’hiver au feu, et à l’ombre l’Été.
LXXXV.
Tu marches à tous pas par la pluie et la fange
Pour ce corps à tous coups contre toi révolté :
Phinice fait des cordes, et son âne les mange,
L’esprit qui sert au corps n’a plus de liberté.
LXXXVI.
Tu fais autant de pas en la mort qu’en la vie,
Tiens pour morts tous les jours que tu auras vécu :
L’avenir n’est pas tien, au présent ne te fie
Qu’un instant, et le temps est par la mort vaincu.
LXXXVII.
Quand l’homme est embarqué de ce monde au navire,
Il ne peut retarder son cours ni l’avancer :
Le vent, l’air ni la mer ne sont de son empire,
Et souvent il se perd en voulant rebrousser.
LXXXVIII.
On regrette celui qui est content qu’il meurt,
Socrate s’éjouit de ce qu’il meure à tort :
Xantippe fond en pleurs, l’un rit et l’autre pleure,
Jugeant diversement des traits de cette mort.
LXXXIX.
Courir à cette mort, c’est désespoir et rage,
La seule patience à pied de plomb l’atteint :
Qui la méprise montre un acte de courage :
Car le poltron la fuit, et l’ignorant la craint.
XC.
Quand la dernière araine achève l’horloge,
Il faut sans reculer franchir le dernier pas :
Sans murmure et sans bruit le courageux déloge,
Et quand il faut partir on ne le chasse pas.