Estime qui voudra la Mort épouvantable,
Et la fasse l’horreur de tous les animaux,
Quant à moi je la tiens pour le point désirable,
Où commencent nos biens, et finissent nos maux.
II.
L’homme abhorre la mort, et contr’elle murmure,
Ignorant de la loi, qui pour son bien l’a fait :
La naissance et la mort sont filles de Nature,
Qui n’a rien d’étranger, d’affreux ni d’imparfait.
III.
Cette difformité de la mort n’est que feinte,
Elle porte un beau front sous un masque trompeur :
Mais le masque levé il n’y a plus de crainte,
On se rit de l’enfant qui pour un masque a peur.
IV.
On déguise la mort de postures étranges,
De traits, de faux en main, de bière sur le dos :
Et comme on donne à tort et poil et plume aux Anges,
De même on la fait d’une carcasse d’os.
V.
A qui craint cette mort, la vie est déjà morte,
Au milieu de la vie il lui semble être mort :
Sa mort il porte au sein, elle au tombeau le porte,
Car craindre de mourir est pire que la Mort.
VI.
Chacun craint cette mort d’une frayeur égale :
Le jeune en a horreur comme d’un monstre hideux,
Le vieillard la voyant dedans ses draps s’avalle,
Tous la fuient autant qu’elle s’approche d’eux.
VII.
Quel bonheur te promet la vie pour la suivre,
Quel malheur à la mort pour l’abhorrer si fort ?
Tu ne veux pas mourir, et tu ne sais pas vivre,
Ignorant que la vie achemine à la mort.
VIII.
L’un aime cette vie, et l’autre la méprise :
L’un y cherche l’honneur, l’autre l’utilité,
L’aimer pour les plaisirs qu’elle rend c’est sottise,
L’haïr pour ses ennuis c’est imbécilité.
IX.
La tourmente en la mer couve sous la bonasse,
Dans le bonheur la vie enferme le malheur :
On la commence en pleurs, en sueurs on la passe.
Et jamais on ne peut l’achever sans douleur.
X.
La vie est un flambeau, un peu d’air qu’on respire,
La fait fondre et couler, la souffle et la détruit:
A l’un jusques au bout de la mèche elle tire,
Et jusques au milieu à l’autre elle ne luit.