Ce cœur ambitieux qui te donne des ailes,
Pour trouver d’autres mers au delà de nos mers,
Où tu vois des monts d’or, et des ruisseaux de perles,
Ne sauvera ton corps du pillage des vers.
XXII.
Ce plaisir qui l’oreille à la raison étoupe,
Empoisonne le cœur, charme l’entendement,
Et qui porte toujours la repentance en croupe,
Fait un long déplaisir d’un prompt contentement.
XXIII.
Ce plaisir qui te lasse, et jamais ne te saoule,
Usant ton corps plutôt qu’il n’est las d’en user,
Est des cinquante soeurs le vaisseau qui s’écoule,
Plus on l’emplit de l’eau qu’on ne peut épuiser.
XXIV.
La beauté qui des Rois ouvre et ferme la bouche,
Et qui sert à l’esprit de lettre & de faveur,
Ne le voit sans plaisir, sans danger ne se touche,
Ne sauroit éviter de la Mort la fureur.
XXV.
Une beauté sans grâce, est un vaisseau sans voiles,
Sans verdure un Printemps, sans lumière un flambeau,
Un jour sans le Soleil, une nuit sans étoiles,
Et la grâce pourtant n’affranchit du tombeau.
XXVI.
Quand la beauté du corps rencontre une belle âme,
Cette perfection ne peut monter plus haut,
Sans elle la vertu ne pare point la Dame,
Et le peu de beauté lui est un grand défaut.
XXVII.
Cette beauté que l’air, le vent, la fièvre efface,
Qui travaille toujours, l’oeil, la bouche, la main,
A quinze ans pousse, à vingt fleurit, à trente passe,
Et puis comme un tison tombe en cendres soudain.
XXVIII.
L’or du monde, l’amour, le soleil des abîmes,
Pour qui toujours le feu travaille avec le fer :
L’or laisse les vertus, l’or l’asile des crimes,
Sert bien souvent de pont pour passer à l’enfer.
XXIX.
De l’homme le savoir n’est que pure ignorance,
On voit le plus savant bien lourdement broncher :
On veut renouveler des doutes la science,
Et l’on perdra le vrai pour trop le rechercher.
XXX.
De ce qu’il n’entend pas l’ignorant se travaille,
Il entre dans les Cieux, et au Conseil des Rois,
En chaire Phormion ordonne la bataille,
Et Thersite discourt des armes et des lois