J'ai deux grands boeufs dans mon etable,
Deux grands boeufs blancs, marques de roux;
La charrue est en bois d'erable,
L'aiguillon en branche de houx;
C'est par leur soin qu'on voit la plaine
Verte l'hiver, jaune l'ete;
Ils gagnent dans une semaine
Plus d'argent qu'ils n'en ont coute.
S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre;
J'aime Jeanne ma femme, eh bien! j'aimerais mieux
La voir mourir, que voir mourir mes boeufs.
Les voyez-vous, les belles betes,
Creuser profond et tracer droit,
Bravant la pluie et les tempetes,
Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid?
Lorsque je fais halte pour boire,
Un brouillard sort de leurs naseaux,
Et je vois sur leur corne noire
Se poser les petits oiseaux.
S'il me fallait les vendre, etc.
Ils sont forts comme un pressoir d'huile,
Ils sont doux comme des moutons.
Tous les ans on vient de la ville
Les marchander dans nos cantons,
Pour les mener aux Tuileries,
Au mardi gras devant le roi,
Et puis les vendre aux boucheries,
Je ne veux pas, ils sont a moi.
S'il me fallait les vendre, etc.
Quand notre fille sera grande,
Si le fils de notre regent
En mariage la demande,
Je lui promets tout mon argent;
Mais si pour dot il veut qu'on donne
Les grands boeufs blancs, marques de roux,
Ma fille, laissons la couronne,
Et ramenons les boeufs chez nous.
S'il me fallait les vendre, etc.