Pierre Dupont

1821-1870 / France

La Veronique

Quand les chenes, a chaque branche,
Poussent leurs feuilles par milliers,
La veronique bleue et blanche
Seme les tapis a leurs pieds;
Sans haleine, a peine irisee,
Ce n'est qu'un reflet de couleur,
Pleur d'azur, goutte de rosee,
Que l'aurore a changee en fleur.

Douces a voir, o veroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

Les violettes sont moins claires,
Les bluets moins legers que vous,
Les pervenches moins ephemeres
Et les myosotis moins doux.
Le dahlia, non plus la rose,
N'imiteront point votre azur;
Votre couleur bleue est eclose
Simplement comme un amour pur.

Douces a voir, o veroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

Le papillon bleu vous courtise,
L'insecte vous perce le coeur,
D'un coup de bec l'oiseau vous brise,
Que guette a son tour l'oiseleur.
Reveurs, amants, race distraite,
Vous effeuilleront au hasard,
Sans voir votre grace muette.
Ni votre dernier bleu regard.

Douces a voir, o veroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

O fleur insaisissable et pure,
Saphir dont nul ne sait le prix,
Melez-vous a la chevelure
De celle dont je suis epris;
Pointillez dans la mousseline
De son blanc peignoir entr'ouvert,
Et dans la porcelaine fine
Ou sa levre boit le the vert.

Douces a voir, o veroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.

Fleurs touchantes du sacrifice,
Mortes, vous savez nous guerir;
Je vois dans votre humble calice
Le ciel entier s'epanouir.
O veroniques! sous les chenes
Fleurissez pour les simples coeurs
Qui, dans les traverses humaines,
Vont cherchant les petites fleurs.

Douces a voir, o veroniques!
Vous ne durez qu'une heure ou deux,
Fugitives et sympathiques
Comme des regards amoureux.
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