Philothée O'Neddy


Incantation

Dans son hideux palais sous les roches creusé,
Itobal rentre seul ; à côté de la porte,
Il prend sa carabine et son damas bronzé ;
Puis, sur un lit de joncs, ramille sèche et morte,

Se laisse de son haut tomber tout épuisé.
Mais en vain l’égorgeur, que la fatigue excède,
Après trois jours de marche et de sanglants travaux,
Espère s’endormir au frais de ses caveaux :
Un vertige inouï le dévore et l’obsède.

— Mille damnations ! dit-il entre ses dents :
Là, près de mon oreille, un essaim tourbillonne ;
Mes muscles convulsifs tremblent, mon sang bouillonne ;
On dirait que je suis sur des charbons ardens !
Je ne sais quel lutin si méchamment s’applique
À frustrer un vieux loup de sa part de sommeil :
Qu’importe ? N’ai-je pas un arcane magique,
Qui peut soûler mes sens d’un baume léthargique,
Pour trois règnes entiers de nuit et de soleil ?…
— Holà ! remuez-vous, crânes poudreux et ternes
De tous les vils poltrons égorgés par mes mains !
Crânes, qui reposez le long des grands chemins,
Dans les noires forêts, dans les eaux des citernes,

Accourez ! accourez ! les vents vous porteront.
Pour venir jusqu’à moi, profitez des ténèbres ;
Puis, avec des cris sourds, des sifflements funèbres,
Autour de mon chevet dansez, dansez en rond ! —

À peine ont retenti ces mandemens profanes,
Que, par les rocs fendus, entre désordonné,
Sur de jaunes rayons, un cortége de crânes,
Dont le lit sanguinaire est soudain couronné.
La ronde s’organise, et s’ébranle et tournoie ;
Et bercé, fasciné par le rhythme discord
Des psaumes que le bal fredonne dans sa joie,
Notre infernal bandit profondément s’endort.
— Ho ! métaphysiciens, qu’est-ce que le remord ?
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