Paul Armand Silvestre


Quam pulchra es, amica !

Comme l’ombre d’un vol d’oiseau
Sur la neige d’une colline,
Sur ton front blanc, double réseau,
L’ombre de tes cheveux s’incline

Pareille à l’écume d’argent
Du flot qui sur les bords s’apaise.
Montant vers elle et la frangeant,
La candeur de ton front la baise.

Tant de nuit et tant de clarté
Sur ton front mêlent leur caresse
Que mon Rêve y flotte, agité,
Entre l’espoir et la détresse !

II

Dans tes yeux, tes beaux yeux d’enfant,
S’allume, lorsque tu t’éveilles,
L’or clair d’un soleil triomphant
Que mirent deux sources pareilles.

Quand un rêve passe sur eux,
On dirait l’haleine opaline
Qui descend sur les lacs ombreux
A l’heure où le couchant s’incline.

En les contemplant tour à tour,
J’y trouve — allégresse ou souffrance —
Tantôt l’aurore d’un amour,
Tantôt le soir d’une espérance !

III

Fruit mûr dont un couteau vainqueur
A fendu la chair savoureuse,
Qui saigne et garde encor au cœur
L’éclair de l’acier qui le creuse,

Teinte de pourpre aux tons ardents
Comme une blessure farouche,
Sur le clair frisson de tes dents
S’ouvre et se referme ta bouche.

Mon Rêve, n’osant s’y poser,
Craint d’y sentir, comme une lame
Sous le miel divin du baiser
Le froid mépris qui perce l’âme !

IV

De ta voix la mer a rythmé
La musique puissante et douce ;
On dirait, sur le flot calmé,
Une lyre qu’un souffle pousse.

Les vagues font, en l’effleurant,
Tinter l’or des cordes sacrées,
Et le vent du soir, en pleurant,
Y met des notes déchirées.

Par ce chant immortel bercé,
J’écoute, en des heures trop brèves,
Fuir sur l’océan du Passé
Le vaisseau brisé de mes Rêves !

V

D’un rayon d’aurore attaché,
L’arc radieux de ton sourire
Ferme et tend, sur un trait caché,
Sa courbe adorable à décrire.

Il se rouvre sur le sillon
De la flèche au ciel envolée
Comme le vol d’un papillon
Se rouvre sur la brise ailée.

Chaque flèche, en touchant mon cœur,
Met, dans ma blessure éternelle,
Ou le froid de son fer vainqueur
Ou la caresse de son aile.

VI

L’âme des Paros abolis
L’antique neige des Tempées,
La pâleur des têtes de lis
Pour les fêtes des Dieux coupées ;

Toutes les blancheurs que le Temps
A proscrites ou méconnues,
Renaissent en tons éclatants
Sur ta face et ta gorge nues.

C’est qu’il leur fallait, pour cela,
Retrouver la splendeur des lignes,
Qu’aux cieux autrefois révéla
Léda, la charmeuse de cygnes !

VII

Sur le vol d’une tourterelle
Tes mains jadis, en se fermant,
Prirent au contour de son aile
Leur grâce et leur dessin charmant.

Aussitôt qu’un geste déploie
Leur blancheur, onduleux trésor,
On dirait le frisson de joie
D’un oiseau qui prend son essor.

Ombre douce et douce lumière !
Je sens mon âme, tour à tour,
Sous leur étreinte prisonnière
Et, par elles, rendue au jour !

VIII

Couchants qui faites, sur la plaine,
Fumer l’or clair d’un encensoir ;
Roses dont la dernière haleine
Fait trembler les rideaux du soir ;

Souffles printaniers que balance
La clochette des lilas blancs ;
Arômes, qu’avec le silence,
La Nuit traîne sur ses pas lents ;

Parfums des choses, qu’effarouche
L’aile impitoyable du Vent,
Mon Rêve vous boit sur la bouche
Que je n’effleure qu’en rêvant !

IX

Comptant les grâces immortelles
Qui font l’honneur de ta Beauté
Et dont les puissances sont telles
Que j’en fus à jamais dompté,

De t’avoir sans relâche aimée,
Même d’un amour méconnu,
Dans mon âme à l’espoir fermée
Un immense orgueil est venu.

Qui sait, du sourire ou des larmes,
Lequel en ce monde est meilleur ?
— Demeure fière de tes charmes.
— Je reste fier de ma douleur !
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