Le Midi sur les bois étend sa langueur lourde ;
Et l'on n'entend plus rien, — rien que la rumeur sourde
Des baiser du Soleil à l'humus Gabonnais.
Rien ! — Au loin seulement, reproche horrible et triste,
Le cri d'un Nhsïégo qui se tord et résiste
Dans le piége de fer d'un chasseur Kroumanais.
Tout dort. Le roi M'Pongo Bétani, dans sa case,
Sur le tissu très frais d'un tapis du Caucase
Couché, songe, en mâchant un morceau de Kola.
C'est un vieillard vêtu d'un ancien uniforme
De fantassin danois un peu large de forme,
Qu'à bord d'un négrier autrefois il vola.
Il songe et dit : « Je suis, de la mer aux montagnes
« Del Crystal, fameux. J'ai près de trois mille pagnes
« Commandés par six chefs extrêmement méchants ;
« Quarante et un hameaux ; soixante-quatre femmes ;
« Cent cinquante-huit enfants ; vingt canots de dix rames
« Et, pour ensemencer et cultiver mes champs,
« Cinq cent trente Bouloux pris aux tribus voisines,
« Superbes et luisants. Pendus dans mes cuisines,
« Huit neptunes tout neufs ; un colossal grelot ;
« Dix couteaux de Sheffied ; un sabre, une cravache ;
« Pour serrer mes habits, un coffre en cuir de vache
« Sur lequel est écrit le nom de Todillot ;
« Cinq gilets de Satin Bajatupot, Romale,
« Korot et Chiloet ; un très-grand singe mâle ;
« Et, pour chasser d'ici les sinistres esprits,
« Sur un tronc de Khaya mon Fétiche se dresse,
« Montrant ses rouges dents. Avec beaucoup d'adresse
« J'ai constellé son front de mes nombreux gris-gris.
« Un Oukoundou puissant, fait des os d'une Morte
« Qui fut ma Sœur, je crois, est caché sous ma porte
« Et défend ma maison. Le jour de mon trépas,
« En mon honneur seront, aux sons doux, aux sons graves
« Des Ibékas Goumbis, égorgés cent esclaves.
« Mes femmes pleureront et danseront un pas.
« Par Mikombo ! je suis un chef terrible et riche !
« Pourtant je donnerais mon coffre et mon Fétiche,
« Mes gilets, mon gorille et mes femmes en sus,
« Pour être ce traitant, ce mulâtre imbécile
« Qu'on nomme Orassengot, et dont le domicile
« Est plus pauvre et plus nu que son vieux pardessus ».
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une femme Pahoine ayant les dents en pointe
Écoutait le chef noir, caressant sa chair ointe
D'huile. Elle dit : « O roi ! pourquoi tremble à ton œil
« La perle de tes pleurs ? Parle sans défiance.
« N'as-tu plus d'Oulougou, ni de pipe en faïence,
« Pour que sur ton esprit s'amasse tant de deuil ?
« Qu'a-t-il donc d'étonnant, ce fils de la Havane
« Qui sans toi serait mort de faim dans la savane ?
Bétani répondit : « Enfant au cœur ouvert,
« Lorsqu'il se rend à bord des navires en rade,
« Il a, ce Sang-Mêlé, pour chapeau de parade
« Un shako d'artilleur orné d'un pompon vert !