Paul Arène


Gael 'Imar Au Grand Pied

Dans un grand lit sculpté, sur deux larges peaux d’ours,
L’écuyer Gaël’Imar près de la reine Edwige
Repose. — Ainsi que la loi danoise l’exige,
Ils ont entre eux, veuf de sa gaîne de velours,

L’acier d’un glaive nu qui les tient à distance.
Le vieux roi fait la guerre en Chine ; il a chargé
Gaël’Imar d’épouser sa femme en son absence.
« Oh ! qui m’arrachera du cœur l’ennui que j’ai ?

« Je meurs si je n’obtiens ce soir un baiser d’elle,
Et le roi me tuera, certes ! si je le prends ! »
Dit Gaël’Imar, seigneur très sage et très-fidèle.
« Qu’il est beau ! dit Edwige, et qu’il a les pieds grands !

« Comme il sied aux héros qui vont à la bataille,
Il est couvert de fer forgé…, casqué de fer…,
Ganté de fer…, chaussé de fer,… et puis l’entaille
Qui lui tranchera la joue est charmante ! » — L’Enfer

Inspire aux amoureux un désir âpre et sombre…
Tout sommeille… L’un vers l’autre, les beaux enfants
Se sont tournés. « Je t’aime ! » ont dit deux voix dans l’ombre.
Mais le grand sabre : « Holà ! moi je vous le défends ! »

Comme un puissant baron qui chasse dans les plaines,
La Luxure en leur cœur sonne ses oliphants.
Ils se cherchent ; déjà se mêlent leurs haleines…
Mais le grand sabre : « Holà ! moi je vous le défends ! »

Ce fut toute la nuit des angoisses mortelles,
Un loup toute la nuit près des portes hurla,
Et la lune en passant ouït des choses telles
Qu’elle en pâlit… Mais quand finit cette nuit-là,

À l’heure où le soleil dans la neige se cabre,
Où le renard bleu rentre au fond des antres sourds,
Dans le grand lit sculpté, sur les larges peaux d’ours,
Ils étaient froids tous trois : Lui, la Femme et le Sabre.
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