Maurice Rollinat

1842-1888 / France

Les Petits Cailloux

Roulés par d’antiques déluges
Ou par des torrents disparus,
Sur tant de chemins parcourus
Ils ont rencontré des refuges.

Ils gisent au hasard du temps,
À la merci brusque de l’homme,
Dormant leur immobile somme,
Mornes, gais, obscurs, miroitants.

Il vous en apparaît, parfois,
Un tas tout blanc sous des aigrettes
D’herbes folles et de fleurettes
Dans la clairière d’un grand bois.

Certains, au pied d’un très vieil arbre,
Semblent au fond d'un ravin gris,
Sur une mousse vert-de-gris,
De beaux petits morceaux de marbre.

La chenille qu’humide ou sec
Un coup de vent jette ou remporte
Bien collée à sa feuille morte ;
L’aiguisage d’un petit bec ;

Fourmis au repos comme à l’œuvre ;
La rampade, le repliement
Tassé, le désenroulement
Brusque ou dormi de la couleuvre ;

Les divers grincés du grillon
Selon qu’il s’arrête ou qu’il flâne ;
La caresse d’un mufle d’âne ;
Le flottement d’un papillon :

Tout cela, léger, taciturne,
Ou d’un murmure si discret,
Ils l'ont ! et savent le secret
De plus d’une bête nocturne.
II

Ils ornent le recoin seulet,
Émaillent le sentier sauvage,
Le fossé, le mignon rivage
De la source et du ruisselet.

L’averse vient quand il lui plaît
Leur donner fraîcheur et breuvage ;
Le soleil, après ce lavage,
Les essuie avec un reflet.

Ovales, ronds, plats ou bombés,
Polis, blancs, jaunes, violâtres,
Ils attachent les yeux du pâtre
Aux longs regards inoccupés,

Comme ils frappent le solitaire
Qui, lassé du visage humain,
Trouve toujours sur son chemin
De quoi se pencher vers la terre,

Et leur aspect, même au temps froid,
Charme encor le plus triste endroit,
Car on sait que chacun recèle

Cet éclair soudain, rouge et bleu,
Cette âme furtive du feu :
La prestigieuse étincelle !
III

Là, frôlés de ces glisseurs doux :
Le lézard, le ver et l’insecte,
Au bord d’une eau qui les humecte,
Ils rêvent les petits cailloux.

Au milieu des clartés éteintes
Le soleil, retardant sa mort,
Ajoute comme un glacis d’or,
Comme un frisson rose à leurs teintes.

Et, quand d’un invisible vol
Dans l’air, au chant du rossignol,
Vont les brises capricieuses...

L’astre sorcier qui les revêt
De son ombre magique, en fait
D’étranges pierres précieuses.
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