Maurice Rollinat

1842-1888 / France

Les Larmes

Le crâne des souffrants vulgaires
Est un ciel presque jamais noir,
Un ciel où ne s’envole guères
L’abominable désespoir.

Chaque nuage qui traverse
En courant cet azur qui luit,
Se crève en une douce averse
Apaisante comme la nuit.

Une pluie exquise de larmes
Sans efforts en jaillit à flots,
Éteignant le feu des alarmes
Et noyant les âpres sanglots.

Alors pour ces âmes charnues
Au martyre superficiel,
Les illusions revenues
Se diaprent en arc-en-ciel.

Mais le cerveau du solitaire,
Vieux nourrisson de la terreur,
Est un caveau plein de mystère
Et de vertigineuse horreur.

Du fond de l’opacité grasse
Où pourrit l’espoir enterré,
Une voix hurle : « Pas de grâce !
Non ! pas de grâce au torturé ! »

Près des colères sans courage
Et qui n’ont plus qu’à s’accroupir,
La résignation qui rage
S’y révolte dans un soupir,

Et comme un vautour fantastique,
Avec un œil dur et profond,
La fatalité despotique
Étend ses ailes au plafond !

Crâne plus terrible qu’un antre
De serpents venimeux et froids,
Où pas un rayon de jour n’entre
Pour illuminer tant d’effrois,

Par tes yeux, soupiraux funèbres,
Ne bâillant que sur des malheurs,
Tes lourds nuages de ténèbres
Ne se crèvent jamais en pleurs !

Oh ! quand, rongé d’inquiétudes,
On va geignant par les chemins,
Au plus profond des solitudes,
Ne pouvoir pleurer dans ses mains !

Jalouser ces douleurs de mères
Ayant au moins pour s’épancher
Le torrent des larmes amères
Que la mort seule peut sécher !

Quand on voudrait se fondre en source
Et ruisseler comme du sang,
Hélas ! n’avoir d’autre ressource
Que de grimacer en grinçant !

Oh ! sous le regret qui vous creuse,
Mordre ses poings crispés, avec
La paupière cadavéreuse
Et l’œil implacablement sec !

Ô sensitive enchanteresse,
Saule pleureur délicieux,
Verse à jamais sur ma détresse
La rosée âcre de tes yeux !

Que ta plainte humecte ma vie !
Que ton sanglot mouille le mien !
Pleure ! pleure ! moi je t’envie
En te voyant pleurer si bien !

Car, maintenant, mon noir martyre,
De ses larmes abandonné,
Pour pleurer n’a plus que le rire,
Le rire atroce du damné !
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