Marc- Antoine Girard

1594-1661 / France

Le contemplateur

... Tout ce qu'autrefois j'ai chanté
De la Mer en ma Solitude,
En ce lieu m'est représenté
Où souvent je fais mon étude :
J'y vois ce grand Homme marin
Qui d'un véritable burin
Vivait ici dans la mémoire
Mon coeur en est tout interdit
Et je me sens forcé d'en croire
Bien plus qu'on ne m'en avait dit.

Il a le corps fait comme nous,
Sa tête à la nôtre est pareille,
je l'ai vu jusques aux genoux,
Sa voix a frappé mon oreille ;
Son bras d'écailles est couvert,
Son teint est blanc, son oeil est vert,
Sa chevelure est azurée ;
Il m'a regardé fixement
Et sa contenance assurée
M'a donné de l'étonnement.

Un portrait qui n'est qu'ébauché
Représente bien son visage ;
Sous du poil son sein est caché,
Il a des mains le libre usage :
De la droite, il empoigne un cor
Fait de nacre aussi rare qu'or
Dont les chiens de mer il assemble :
Je puis croire un Glauque aujourd'hui ;
Bref, à nous si fort il ressemble,
Que j'ai pensé parler à lui.

De mainte branche de coral
Qui croit sous l'eau comme de l'herbe
Et dont Neptune est libéral,
Il porte un panache superbe ;
Vingt tours de perles d'Orient,
Riches d'un lustre variant
En guise d'écharpe le ceignent ;
D'ambre son chef est parfumé
O feu ! qui toujours allumé
Et quoique les ondes le craignent
Il en est pourtant bien-aimé.

... Quelquefois, bien loin écarté,
Je puise, pour apprendre à vivre,
L'Histoire ou la Moralité
Dans quelque vénérable livre ;
Quelquefois, surpris de la nuit,
En une plage où, pour tout fruit,
J'ai ramassé mainte coquille,
Je reviens au château, rêvant
Sous la faveur d'un ver qui brille
Ou plutôt d'un astre vivant.

O bon Dieu ! m'écrié-je alors,
Que ta puissance est nonpareille
D'avoir en un si petit corps
Fait une si grande merveille !
Brûle sans être consumé !
Belle escarboucle qui chemine !
Ton éclat me plaît beaucoup mieux
Que celui qu'on tire des mines
Afin d'ensorceler nos yeux !
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