Dame Perruche, un soir, recevait compagnie ;
Le cercle était nombreux, quoiqu’à ses visiteurs
Elle eût promis un concert d’amateurs,
Dont Dieu vous garde pour la vie !
Un beau chardonneret devait y déployer
Les merveilles de son gosier.
C’était un protégé de madame la Pie,
Jeune provincial débarqué fraîchement,
Et que déjà la calomnie
Avait mis à l’index et jugeait méchamment.
Après un air chanté par la fauvette
Et la romance du serin,
Le chardonneret vint enfin.
Ce n’était pas trop mal : une voix franche et nette,
De la méthode, un peu de goût,
Un amateur comme on en voit partout.
Dame Perruche entonna la louange,
Et tout le cercle en jeta largement.
A madame la Pie on en fit compliment.
« Charmant ! divin ! s’écriait la mésange
En minaudant et coquetant.
- Oui, disait le pinson, il chante comme un ange.
Son triomphe est certain ; tout le monde en voudra.
S’il veut entrer à l’opéra,
Au prix où sont les voix, je lui prédis d’avance
Qu’on le paîra plus cher qu’un maréchal de France. »
Notre chardonneret, enivré, transporté,
Se prosterne en avant, s’incline de côté ;
Et de peur d’éveiller l’envie,
Comprimant dans son cœur ses bonds de vanité,
Rassemble dans son œil, de plaisir humecté,
Tout ce qu’il a de modestie.
Il craint enfin d’étouffer de bonheur,
Prend congé de son auditoire,
S’échappe avec la Pie, et, savourant sa gloire,
Se pavane en triomphateur.
Mais que le pauvre diable aurait baissé la tête
S’il avait entendu les brocards et les ris
Dont la Perruche et ses amis
Avaient salué sa retraite !
- Quelle voix ! disait-on ; quel pitoyable accent !
Et cela se croit du talent !
Avez-vous vu sa bonhomie ?
Comme il croyait à notre enchantement !
Oh ! c’est un renfort excellent
Pour les orgues de Barbarie.
Souvenez-vous de mon chardonneret,
Poètes de salon, et vous, grands virtuoses,
Qui sur quelques bravos rêvez d’apothéoses.
Mais à cet accident quel homme n’est sujet ?
Si de nous, devant nous, le monde dit merveille,
Pour bien savoir ce qu’il en est,
Il faudrait en sortant y laisser une oreille.