Un torrent, qui de ses ravages
Avait longtemps désolé ses rivages,
Se plaignait qu’une digue eût enchaîné ses flots,
Et l’apostrophait en ces mots :
« Pourquoi m’imposes-tu cette gêne inutle ?
« Si je fus autrefois dangereux, indocile,
« Pour mes débordements, justement détesté,
« Je suis changé, tu vois ; je suis doux et tranquille :
« Rends-moi toute ma liberté. »
« - Oui, » répondit la digue avec plus de franchise ;
« Oui, je vois dans tes mœurs un changement parfait.
« Ton onde même fertilise
« Les vallons qu’elle ravageait ;
« Mais, dans cette métamorphose,
« Ne suis-je pas pour quelque chose ? »
L’argument était juste, et, pour le prouver mieux,
Sur les pas de l’hiver survint un gros orage ;
La digue fut rompue, et, s’ouvrant un passage,
Le fier torrent reprit ses penchants furieux.
Les campagnes épouvantées,
Les arbres abattus, les terres emportées
Dirent au laboureur, dont les cris déchirants
Redemandaient aux flots ses moissons dévastées
Qu’il faut des digues aux torrents.