Jean Francois Delavigne

4 April 1793 – 11 December 1843 / Le Havre

Adieux à Rome

L’airain avait sonné l’hymne pieux du soir.
Sur les temples de Rome, où cessait la prière,
La lune répandait sa paisible lumière;
Au Forum à pas lents, triste, j’allai m’asseoir.
J’admirais ses débris, ses longs portiques sombres,
Et clans ce jour douteux, par leur masse arrêté,
Tous ces grands monuments empruntaient de leurs ombres
Plus de grandeur encore et plus de majesté;
Comme l’objet absent, qu’un regret nous rappelle,
Reçoit du souvenir une beauté nouvelle,
Mon luth, longtemps muet, préluda dans mes mains,
Et sur l’air grave et doux dont le chant se marie
Aux accents inspirés des poètes romains,
Cet adieu s’échappa de mon âme attendrie;
Rome, pour la dernière fois
Je parcours ta funèbre enceinte:
Inspire les chants dont ma voix
Va saluer ta gloire éteinte.
Luis dans mes vers, astre éclipsé
Dont la splendeur fut sans rivale;
Ombre-éclatante du passé,
Le présent n'a rien qui t'égale.
Tout doit mourir, tout doit changer:
La grandeur s'élève et succombe.
Un culte même est passager;
Il souffre, persécute et tombe.
Tu brillais de ce double éclat,
Et tu n'as pas fait plus d'esclaves
Avec la toge du sénat
Que sous la pourpre des conclaves.
Du sang de tes premiers soutiens
Cette colline est arrosée;
Le sang de les héros chrétiens
Rougit encor lé Cotisée.
A travers ces deux souvenirs
Tu m'apparais pâle et flétrie,
Entre les palmes des martyrs
Et les lauriers de la patrie.
Que tes grands noms, que tes exploits,
Tes souvenirs de tous les âges,
Viennent se confondre sans choix
Dans mes regrets et mes hommages,
Comme ces temples abattus,
Comme les tombeaux et les ombres
De tes Césars, de tes Brutus
Se confondent dans tes décombres.
Adieu, Forum, que Cicéron
Remplit encor de sa mémoire!
Ici, chaque pierre a son nom,
Ici, chaque débris sa gloire.
Je passe, et mes pieds ont foulé
Dans ce tombeau d'où sortit Rome,
Les restes d'un dieu mutilé
Ou la poussière d'un grand homme.
Adieu, vallon frais où Numa
Consultait sa nymphe chérie!
J'entends le ruisseau qu'il aima
Murmurer le nom d'Égérie.
Son eau coule encor; mais les rois,
Que séduit une autre déesse,
Ne viennent plus chercher des lois
Où Numa puise la sagesse.
Temple, dont l'Olympe exilé
A fui la majesté déserte,
Panthéon, ce ciel étoile
Achève ta voûte entr'ouverte;
Et ses feux du haut de l'éther,
Cherchant tes dieux dans ton enceinte
Vont sur l'autel de Jupiter
Mourir au pied de la croix sainte.
Qui t'éleva, dôme éternel,
Du Panthéon céleste frère?
Si tu fus l'oeuvre d'un mortel
Les arts ont aussi leur Homère;
Et du génie en ce saint lieu
Je sens l'invisible présence,
Comme je sens celle du Dieu
Qui remplit ta coupole immense.
Je vous revois, parvis sacrés
Qu'un poète a rendus célèbres!
Je foule les noms ignorés
Qui chargent vos pavés funèbres,
Et de tous ces tombeaux obscurs
Le marbre qui tient tant de place,
Laisse .à peine un coin clans vos murs
Pour la cendre et le nom du Tasse!
Cloître désert, sous les arceaux
Mourut l'amant d'Éléonore,
Près du chêne dont les rameaux
Devaient pour lui verdir encore.
Avant l'âge ainsi meurt Byron;
Un même trépas les immole:
L'un tombe au seuil du Parthénon,
Et l'autre au pied du Capitole...
Je les pleurais tous deux, et je sentis ma voix
Mourir avec leurs noms sur mes lèvres tremblantes;
Je sentis les accords s’affaiblir sous mes doigts,
Pareils au bruit plaintif, aux notes expirantes
Qui se perdent dans l’air, quand du Miserere
Les sous au Vatican s’éteignent par degré.
Jaloux pour mon pays, je cherchais en silence
Quels noms il opposait à ces noms immortels;
Il m’apparaît alors, celui dont l’éloquence
Des demi-dieux romains releva les autels;
Le Sophocle français, l’orgueil de sa patrie,
L’égal de ses héros, celui qui crayonna
L’âme du grand Pompée et l’esprit do Cinna;
Emu d’un saint respect, je l’admire et m’écrie;
Chantre de ces guerriers fameux,
Grand homme, ô Corneille, ô mon maître,
Tu n'as pas habité comme eux
Cette Rome où tu devais naître;
Mais les dieux t'avaient au berceau
Révélé sa grandeur passée,
Et sans fléchir sous ton fardeau,
Tu la portais dans ta pensée!
Ah! tu dois errer sur ces bords,
Où le Tibre te rend hommage!
Viens converser avec les morts
Dont ta main retraça l'image.
Viens, et, ranimés pour te voir,
Ils vont se lever sur tes traces;
Viens, grand Corneille, viens t'asseoir
Au pied du tombeau des Horaces!
De quel noble-frémissement
L'orgueil doit agiter ton âme,
Lorsque sur ce froid monument
De tes vers tu répands la flamme!
Il tremble, et dans son sein profond
J'entends murmurer sur la terre
Deux fils morts, dont la voix répond
Au qu'il mourût de leur vieux père.
Beau comme ces marbres vivants
Dont l'art enfanta les merveilles,
Ton front vaste abandonne aux vents
Ses cheveux blanchis par les veilles;
Et quand les fils de Romulus
Autour de toi couvrent ces plaines,
Je crois voir un Romain de plus
Évoquant les ombres romaines.
Je pars, mais ces morts me suivront:
Ta muse a soufflé sur leur cendre.
En renaissant ils grandiront
Dans tes vers, qui vont me les rendre;
Et l'airain, qui, vainqueur du temps,
Jusqu'aux cieux porta leurs images,
Les plaça sur des monuments
Moins sublimes que tes ouvrages!
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