Mes yeux, ne lancez plus votre pointe éblouie
Sur les brillants rayons de la flammeuse vie,
Cillez-vous, couvrez-vous de ténèbres, mes yeux :
Non pas pour étouffer vos vigueurs coutumières,
Car je vous ferai voir de plus vives lumières,
Mais sortant de la nuit vous n'en verrez que mieux.
Je m'ennuie, de vivre, et mes tendres années,
Gémissant sous le faix de bien peu de journées,
Me trouvent au milieu de ma course cassé :
Si n'est-ce pas du tout par défaut de courage,
Mais je prends, comme un port à la fin de l'orage,
Dédain de l'avenir pour l'horreur du passé.
J'ai vu comme le Monde embrasse ses délices,
Et je n'embrasse rien au Monde que supplices,
Ses gais printemps me sont de funestes hivers,
Le gracieux Zéphir de son repos me semble
Un Aquilon de peine, il s'assure et je tremble,
Ô que nous avons donc de desseins bien divers !
Ce Monde, qui croupit ainsi dedans soi-même,
N'éloigne point jamais son coeur de ce qu'il aime,
Et ne peut rien aimer que sa difformité :
Mon esprit au contraire hors du Monde m'emporte,
Et me fait approcher des Cieux en telle sorte
Que j'en fais désormais l'amour à leur beauté.
Mais je sens dedans moi quelque chose qui gronde,
Qui fait contre le Ciel le partisan du Monde,
Qui noircit ses clartés d'un ombrage touffu,
L'esprit qui n'est que feu de ses désirs m'enflamme,
Et la chair qui n'est qu'eau pleut des eaux sur ma flamme,
Mais ces eaux-là pourtant n'éteignent point ce feu.
La chair des vanités de ce monde pipée
Veut être dans sa vie encor enveloppée,
Et l'esprit pour mieux vivre en souhaite la mort.
Ces partis m'ont réduit en un péril extrême.
Mais, mon Dieu, prends parti de ces partis toi-même,
Et je me rangerai du parti le plus fort.