Qu’un autre, en arrivant au soir de son destin,
Voie au fond de sa vie, éclatant et hautain,
Celui qu’il fut jadis et dont le pas sonore
Sur la route parvient à son oreille encore
Et dont il se rappelle avoir vécu les jours.
La gloire a couronné son front heureux. L’amour
Au laurier toujours vert mêle son myrte sombre
Qui parfume la nuit et qui sent bon dans l’ombre ;
La Fortune riante et qui lève un flambeau,
En riant, l’a tiré par le pan du manteau ;
La toile s’est changée en pourpre à son épaule ;
Les abeilles, au creux de la ruche et du saule,
Ont toujours eu pour lui quelque miel réservé.
Ce qu’il fut est si beau qu’il peut l’avoir rêvé
Et dans son souvenir, il s’apparaît pareil
A quelqu’un qui marcha longtemps dans le soleil
Et qu’au seuil de la nuit accueilleraient encor
Des torches de lumière et des trompettes d’or !
Mais moi, si je regarde au fond de ma pensée
D’aujourd’hui jusqu’au bout de ma route passée,
Toujours je me retrouve et toujours je me vois
Toujours le même, assis toujours au même endroit.
Sur le sable jaillit mon unique fontaine
Où ma bouche à son eau rafraîchit mon haleine.
Là-bas, près du pin rouge et rauque, dans le vent,
C’est là que je me vois et de là que j’entends
Encore, dans l’air pur, au matin de ma vie,
De ma flûte, monter de mes lèvres unies,
Sonore, harmonieux, humble, tremblant et beau,
Mon premier souffle juste à mon premier roseau.