Une dernière fois reviens en mes pensées,
O jeunesse aux yeux clairs,
Et, dans mes mains encor, pose tes mains glacées.
Le soir parfume l’air.
Souviens-toi des matins où tous deux, côte à côte,
Notre ombre nous suivant,
Sur le sable fragile et parmi l’herbe haute
Nous allions dans le vent.
Ce que je veux de toi,
ce n’est pas, ô jeunesse,
De me rendre les lieux
Où nous avons erré ensemble. Je te laisse
Tes courses et tes jeux.
Je ne veux point de toi ces rires dont tu charmes
Mon souvenir encor :
Je te laisse tes pas, tes détours et tes larmes,
Ton âge d’aube et d’or,
Ton âme tour à tour voluptueuse ou sombre
Et ton cœur incertain,
Et ce geste charmant dont tu joignais dans l’ombre
La couple de tes mains.
Ce que je veux de toi, c’est ta jeune colère
Qui te montait au front,
C’est le sang qui roulait en toi sa pourpre claire,
Lorsque d’un vain talon,
Tu frappais à durs coups, frénétique et penchée,
Le sol sec et ardent,
Comme pour qu’en jaillît quelque source cachée
Que tu savais dedans ;
C’est cela que je veux de toi, car je veux boire
A pleine bouche, un jour,
L’eau souterraine encore à ta fontaine, ô gloire,
Quand ce sera mon tour !
Et, si le temps ingrat m’accorde pour salaire
L’opprobre meurtrier,
Je veux m’asseoir du moins à l’ombre que peut faire
La branche du laurier.