Hégésippe Moreau


Les deux La Fayette

Le soldat
Bons villageois, quel est le maître
Du château qui paraît là-bas ?
Le villageois
La Fayette…
Le soldat
Dieu ! c’est peut-être
Le chef dont j’ai suivi les pas ?
Le villageois
Non, non ! Il sourit à nos fêtes,
Sans envier d’autres honneurs ;
Et, s’il fit jamais des conquêtes,
C’est parmi nous, c’est dans les cœurs.

2

Le soldat
Ce n’est donc pas l’homme célèbre
Qui, jeune encor, vit autrefois
Son nom, comme un tocsin funèbre,
Gronder sur la tête des rois ?
Le villageois
Qu’à votre héros Dieu pardonne !
Le nôtre est ami de la paix.
Peut-il faire trembler personne ?
Il n’est armé que de bienfaits.

3

Le soldat
À la lueur de la mitraille
Quand son épée, auprès de moi,
Brillait sur le champ de bataille,
Combien il inspirait d’effroi!
Le villageois
Que l’autre inspire de tendresse
Lorsque, sur ses genoux tremblants,
L’enfance implore une caresse
Et joue avec ses cheveux blancs !

4

Le soldat
Le feu, pour embraser la France,
S’échappe-t-il de l’encensoir,
On le nomme, et dans sa souffrance
Le peuple encor sourit d’espoir.
Le villageois
Si les plaintes de la disette
Troublent la paix de ces beaux lieux,
Le villageois chez La Fayette
Entre en pleurant et sort joyeux.

5

Le soldat
Nos soldats, que l’ivresse excite,
Choisissent toujours ce beau nom,
En chantant la Gloire proscrite,
Pour le refrain de la chanson.
Le villageois
Du repos et de la prière
Quand le jour solennel a lui,
Lorsque nous prions pour un père,
L’orphelin fait des vœux pour lui.
Le soldat
Eh bien, à ces deux La Fayette,
Ami, rendons le même honneur ;
Buvez au chef que je regrette,
Je bois à votre bienfaiteur,
Ils mériteraient que l’histoire
Les couronnât d’un lustre égal,
Et dans le sentier de la gloire
Chacun d’eux n’a qu’un seul rival.
1829
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