Mon Isabelle
N’a, Dieu merci,
D’autre souci
Que d’être belle.
Qu’il fait bon voir
Son teint de rose !
C’est, je suppose,
Tout son avoir.
Que d’assurance
En ces beaux yeux,
Les plus joyeux
Qui soient en France !
C’est rire un brin
Qu’elle demande.
Elle est gourmande
Comme un serin.
D’ailleurs, bébête,
J’en ai grand’peur ;
Rien dans le cœur
Ni dans la tête.
Du sérieux
Comme une autruche ;
Jamais perruche
N’a parlé mieux.
Oui. Mais on rêve
De l’embrasser.
Faut-il danser ?
Elle a la fève.
Puis elle rit ;
Cela me touche.
Vraiment sa bouche
A tant d’esprit !
II
Quand reverdira
La saison des roses,
Que de tendres choses
Mon cœur te dira,
Que de tendres choses.
Au milieu des roses !
Donne tes yeux bleus
Pour que je les baise,
Ta bouche de fraise,
Ton corps onduleux ;
Donne que je baise
Ta bouche de fraise.
Comme sur un pré
L’alouette folle,
Ta gaîté s’envole
Dans le soir doré,
Et, comme toi folle,
Mon âme s’envole.
Ma mie aux doux yeux,
Ne sois plus méchante ;
Entends ce que chante
L’arbre merveilleux :
Entends donc, méchante,
L’oiselet qui chante.
III
Si Clodion t’avait connue,
Rose et fraîche comme une infante,
Oh ! quelle chose ébouriffante
Il eût faite avec ta chair nue !
Si Greuze t’avait rencontrée
Folâtrant sur les bords de l’Oise,
Quelle piquante villageoise
Le bon peintre nous eût montrée !
Si Fragonard t’avait surprise
En quelque forêt d’Arcadie,
Qu’il eût fait d’une main hardie
Voler tes jupes dans la brise !
Si Parny t’avait bien aimée,
Follement comme il faut qu’on t’aime,
Quel interminable poème
Dirait ta nuque parfumée !
Mais assez de batifolage.
Tu n’as pas eu cette fortune,
Et je suis seul, au clair de lune,
À célébrer ton cœur volage.
IV
Et nous avons eu vraiment
Tout là-bas, dans la province,
Et nous avons eu vraiment
Beaucoup, beaucoup d’agrément.
Oui, ma foi, je fus heureux,
Comment dire ? Comme un prince ;
Oui, ma foi, je fus heureux
Puisque j’étais amoureux.
Nous allions cueillir des fleurs
Au marais, dans la prairie ;
Nous allions cueillir des fleurs
Moins fraîches que ses couleurs.
Nous dormions au fond des bois
Non sans quelque effronterie ;
Nous dormions au fond des bois,
Pas toujours, mais quelquefois.
Et, le soir, comme on dînait
Dans notre petite auberge !
Et, le soir, comme on dînait !
C’est l’amour qui cuisinait.
La rivière clapotait,
Gaîment, entre chaque berge.
La rivière clapotait ;
Notre cœur, à nous, chantait.
Des taquineurs de goujons
On voyait la troupe insigne ;
Des taquineurs de goujons
S’espaçaient parmi les joncs.
Je les reverrai souvent,
Nos bons pêcheurs à la ligne ;
Je les reverrai souvent,
Héroïques, dans le vent.
V
Petite folle
On te connaît ;
Ton fin cœur n’est
Que faribole.
Il farandole
Un tantinet,
Et ton bonnet
Au loin s’envole.
Bah ! danse encor
À ton fil d’or,
Marionnette.
Moi, je rirai
Tant que j’aurai
Ma blondinette.
VI
J’aime ses yeux et j’adore sa bouche.
Sa bouche rose est une fleur de lin ;
Ses yeux sont verts comme l’eau du moulin,
D’un vert si tendre, oh ! pas du tout farouche.
Elle sourit après qu’elle a dansé ;
Ses cheveux d’or lui font une auréole.
Un peu perverse, adorablement folle,
Elle me rend tout le siècle passé.
Une malice est au coin de ses lèvres,
Une fossette à son joli menton,
Et je crois voir, gardant son blanc mouton,
Quelque bergère en pâte de vieux Sèvres.
Mais la bergère a plus d’un amoureux ;
Son cœur est traître, à la petite masque.
Elle est cruelle, elle est surtout fantasque.
Ah ! le mouton n’est pas toujours heureux !
VII
C’est madame Pot-au-feu.
Avec ses airs de Pontoise,
Sous son petit jersey bleu,
L’œil à tout, sournoise un peu,
Elle est bourgeoise, bourgeoise !
C’est madame Jupe-au-vent,
Sans peur, merci ni reproche.
Gaillarde après comme avant,
Experte à tout jeu savant,
Elle est gavroche, gavroche.
C’est madame Lucifer,
Aux yeux luisants comme braise ;
Le cœur et la jambe en l’air.
Et des mots ! Brr… brr… L’Enfer !
Elle est mauvaise, mauvaise.
C’est madame nos amours,
Adorable tout de même,
La belle aux yeux de velours
À qui je reviens toujours ;
C’est ma mignonne et je l’aime !
VIII
Ô m’amour, ô friandise.
Que veux-tu que je te dise ?
Tu ne m’aimes plus, c’est bien.
Je crois que tu n’y peux rien ;
Tu n’es vraiment pas méchante.
Ah, Dieu non ! Pourvu qu’on chante
C’est bien tout ce qu’il te faut,
Et ton cœur est sans défaut.
Ton cœur ! Sais-tu s’il existe.
Il n’a jamais été triste.
C’est un joli cœur naissant
Qu’on endort en le berçant
Avec un chant de nourrice.
Il n’a pas de cicatrice.
C’est une flûte en roseau,
C’est une plume d’oiseau.
Ta vie est toujours en fête ;
Tu n’as pas idée en tête
Qui se tienne un peu debout.
Tu souris et puis c’est tout.
Pourquoi pas ? Vive la rose !
Faut-il qu’un pédant morose
Se mêle d’effaroucher
La tendre fleur du pêcher ?
Lorsque tout se renouvelle
Et qu’on a dans la cervelle
Le soleil de la saison,
Que sert de parler raison
Aux folâtres églantines ?
Garde tes façons mutines,
Ton sourire ensorceleur,
Tes yeux doux, ta bouche en fleur.
Réjouis-toi d’être blonde ;
Regarde courir le monde,
Les pauvres moutons sauter
Et les gens se culbuter.
Contemple, toute ravie,
La bataille de la vie.
Accueille avec un bouquet
Le vainqueur s’il est coquet ;
Vide devant sa bannière
Ta corbeille printanière,
Et tant pis pour les blessés
Qui râlent dans les fossés !