D’abord cet humble lit ne me dit pas grand chose,
A parler franchement, il n’était pas trop beau
Avec son coffre usé qui servait d’escabeau
Et ses rideaux fanés de percaline rose.
Mais il avait un air d’extrême honnêteté !
Puis, tout parait charmant à celui qui navigue…
En dépit de son âge, il tenta ma fatigue,
Et je m’applaudis fort lorsque j’y fus monté.
Ah ! le cher lit, cassé comme un bon patriarche,
Confortable pourtant, moelleux, presque douillet !
Les rudes draps, fleurant la lavande et l’œillet !
L’oreiller du repos, si doux après la marche !
On est là comme un moine en son petit couvent ;
Rien ne vous pèse plus des choses de ce monde ;
Et, le cœur endormi dans une paix profonde,
On écoute au dehors tourbillonner le vent.
La mer, à quelques pas, déferle sur la grève,
Et son chant monotone et large vous poursuit.
Elle parle plus franc au tomber de la nuit ;
En cet abri rustique on comprend mieux son rêve.
Tant d’êtres primitifs ont dormi dans ces draps,
Tant de marins partis pour la grande aventure,
Tant de durs laboureurs, tant d’hommes de nature,
Gagnant leur pauvre vie à la force des bras !
Simples, ils n’étaient pas de ceux-là qu’on acclame.
Leurs dévouements obscurs, on les a méprisés.
Mais ce lit, confident de tant d’espoirs brisés,
A gardé, j’en suis sûr, une part de leur âme.
C’est lui qui, par un soir trop vite évanoui,
Accueillit le hardi jeune homme avec sa douce.
Il leur a fait un nid plus tendre que la mousse ;
Leurs honnêtes baisers l’ont souvent réjoui.
Il a connu le trouble et l’abandon des vierges.
Il fut l’ami des vieux et leur dernier soutien.
Il a vu la naissance et la mort du chrétien.
Il finira lui-même à la lueur des cierges.
Et comme je partais pour l’éternel azur
Avec ces braves gens et leurs vertus cachées,
Les images de Saints, près de l’âtre accrochées,
Parurent tout à coup se détacher au mur.
Je vis venir à moi des bonshommes de plâtre,
Peinturlurés de vert, de jaune et de carmin,
Et tous me saluaient, tous avaient à la main
La crosse de l’évêque et le bâton du pâtre.
L’un surtout souriait avec aménité !
C’était un beau vieillard à la barbe fleurie.
Je reconnus le clerc de la Vierge Marie,
Le pasteur et le juge, Yves de Vérité !
Il regarda mon lit avec des yeux d’ancêtre,
Son regard sans malice avait mille douceurs ;
Et celui devant qui tremblent les oppresseurs
Parla divinement en ce cadre champêtre.
– « Que tu viennes de France ou d’un monde inconnu,
Que tes pieds aient foulé la plaine ou la montagne,
Mon fils, je te salue au nom de la Bretagne
Entre sur mon domaine, et sois le bienvenu !
Nos genêts d’or, nos clairs ajoncs, nos blanches roses,
Si tu comprends leur âme, enchanteront tes yeux ;
Notre mer te dira le secret des aïeux ;
Ecoute-la parler ! Elle sait bien des choses…
En ces bois d’où le siècle est à jamais banni,
Tu pourras entrevoir un coin du grand mystère ;
Un charme d’innocence est resté sur ma terre,
Elle peut sans effroi contempler l’infini.
Peut-être apportes-tu quelque penser frivole :
Laisse échapper, mon fils, cet oiselet doré,
Souviens-toi que ce sol est un lieu consacré
D’où, comme un pur encens, la prière s’envole.
Pense à ceux que la vague a naguère engloutis
Et qui t’ont précédé dans cette humble demeure.
Eux aussi souriaient aux délices de l’heure,
C’est l’espérance aux yeux que tous étaient partis.
Mais quand un vent de mort a secoué leurs voiles,
Leur cœur au sacrifice était déjà tout prêt ;
Ils ont baissé la tête, et, sans même un regret,
Se sont évanouis dans la paix des étoiles.
Songe à ces laboureurs qui creusent leur sillon,
Sans se lasser jamais, dans la pierre ou le sable ;
A tous ces travailleurs que la fatigue accable,
A ces bœufs, patients et doux sous l’aiguillon.
Ils ne se plaignent pas. Rien ne les décourage.
Leur âme a la candeur et la foi du ciel bleu.
Pour oublier leur peine et monter jusqu’a Dieu,
Il leur suffit d’entendre un oiseau dans l’orage.
Toi que hante, à cette heure, un souvenir mortel,
Regarde ces vaillants et prends-les pour exemple.
Dépouille ton orgueil à la porte du temple ;
Agenouille ton cœur devant le pur autel.
Le chagrin qui t’oppresse est pareil aux mouettes
Qu’emporte sur la mer le vent qui rajeunit,
Puisses-tu, délivré des pièges du Maudit,
Redevenir enfant avec les alouettes !
Vois ! La sainte Bretagne a pour toi revêtu
Sa parure d’ajoncs, son manteau de bruyères.
Un esprit bienfaisant respire dans ces pierres ;
De ces mille fleurs d’or s’exhale une vertu.
C’est un rêve d’argent qui bat le pied des roches ;
D’angéliques parfums s’élèvent du ravin ;
Et, comme un frais écho du royaume divin,
Dans l’azur infini passe le chant des cloches.
O mon fils, c’est ici la terre de beauté,
C’est le pays d’amour où le soleil se couche.
Si quelque chant léger s’envole de ta bouche,
Qu’il soit fait d’innocence et de simplicité ! » –
– « Ainsi-soit-il ! » pensai-je, et soudain je m’éveille.
Qu’est-ce donc ? A ma porte apparaît un jour cru.
Avec sa barbe d’or l’évêque a disparu
Mais son accent breton m’est resté dans l’oreille.
O bonhomme Héloury, vous enseignez l’amour.
La vertu du lit clos opère à sa manière.
Me voici désormais une âme printanière,
Une âme de granit… avec des fleurs autour.
C’est un cœur trégorrois qui bat dans ma poitrine,
Un large cœur, sincère et droit, qui ne ment pas.
J’emplirai mes poumons du bon air de là-bas
Et je me fleurirai les yeux d’algue marine.
J’étais l’indifférent qui ne s’attache à rien,
Le mauvais ouvrier qui meurt de sa paresse ;
Les cloches de la mer comprendront ma détresse
Et m’apprendront peut-être à faire un peu de bien.
La fraîcheur de la lande a passé dans mon être.
J’ai franchi la rivière et sauté l’échalier.
Les calvaires m’ont fait un salut familier.
Tout le charme d’Arvor m’entoure et me pénètre.
Je ne demande plus que la douceur du chant.
Si j’ai des ennemis, je n’en veux à personne.
Je suis l’oiseau qui vole et l’Angelus qui sonne
Pour le sage et le fou, même pour le méchant.
Et voici, grâce à Dieu, ma plantureuse hôtesse
Qui m’apporte la goutte et le cidre mousseux.
– « Encore au lit, dit-elle, êtes-vous paresseux ! »
Comment ne pas répondre à tant de politesse ?
Bretagne hospitalière et franche, à ta santé !
Aux filles de Trégor, à tous ses rudes hommes !
Comme eux, je rends hommage au noble jus des pommes.
J’étais déjà Breton sans m’en être douté.