Le jour de Notre Dame,
Au retour du Pardon,
J’ai vu le Korandon
Et sa petite femme.
Ils se tenaient les mains
Et dansaient sur la lande.
Ma surprise fut grande
En regardant ces nains.
Je crois, Dieu me pardonne,
Qu’ils avaient un peu bu.
Le Korandon barbu
Serrait sa Korandone,
Et, comme des cabris,
Tous deux sur l’herbe folle
Faisaient la cabriole
Avec de petits cris.
Ils me virent ensemble
Et, sans se déranger,
– « Salut, bel étranger,
Le diable te ressemble.
Veux-tu boire avec nous ?
On via se mettre à table,
Le cidre est délectable,
L’hydromel aussi doux. » –
Il passait sur les choses
Comme un souffle enchanté.
Une molle clarté
Baignait les champs de roses.
Tout à fait engageant
Etait le menu couple
Et quelle échine souple
Et quels cheveux d’argent !
Hélas ! Le petit verre
Ne tenait pas beaucoup.
Mais j’ai bu plus d’un coup.
Heureux qui persévère !
Alors le Korandon
Tira sa barbe blanche,
Mit le poing sur sa hanche,
Se frappa le bedon,
Et, dans une embrassade,
Déjà très familier,
– « Ah ! c’est particulier,
Je t’aime, camarade,
Ta binette me plait
Encor qu’un peu pâlotte,
Elle est à point falotte
Et sent le gobelet.
Mais pourquoi ces yeux mornes
Et cet air fatigué ?
Tu n’es vraiment pas gai
Porterais-tu des cornes ?
Bah ! bah ! ce n’est qu’un sot
Qui prend sitôt la mouche.
Ne sois pas trop farouche,
Imite-moi plutôt.
Nous autres, petits hommes,
Qui vivons dans les bois,
Nous rendons, tu le vois,
Hommage au jus des pommes.
Moi, je suis vieux, très vieux,
Presque l’âge du monde.
J’ai vu la fée Habonde
Et j’ai connu ses yeux.
Morgane me fut chère
Dont le cœur n’est pas sûr.
Avec le noble Arthur
J’ai longtemps fait la guerre.
Et cassé maintenant,
Lourd, la tête chenue,
Tu vois, je continue
A rire à tout venant.
J’ai la bouche friande
Et le cœur toujours chaud.
Parfois, dans un sabot,
Je vais sur la mer grande.
Sous le rosier discret,
En gars qui s’émancipe,
J’aime à fumer ma pipe,
Quand la lune apparaît.
Vieille est ma ménagère,
Elle n’a qu’une dent.
Nous durillons cependant
Sous la même fougère.
Jette là ce chagrin
Qui jour et nuit t’oppresse.
Fais-nous une maîtresse
Qui te maintienne en train.
Aime, bois, ris et chante
Sans trop savoir pourquoi.
Mais évite, crois-moi,
La Princesse méchante.