Des Muses, sur le mont Hymette,
Je ne fus jamais nourrisson ;
Pour Jeanne, Lise ou Guillemette
Je chante clair comme pinson,
Et tout franc, voilà ma façon !
Si je marque une préférence,
C’est pour la fillette au cresson.
Je suis un oisillon de France.
Le berger des troupeaux d’Admète
Ne m’aura pas pour échanson.
Il me suffit qu’on me permette
De voleter au vert buisson ;
J’annonce de loin la moisson,
Je parle aux humbles d’espérance.
Naïf, à peine polisson.
Je suis un oisillon de France.
Mon cœur flambe comme allumette
Pour qui veut me prendre à rançon.
C’est la plus charmante flammette.
J’ai, sur l’arbre de Robinson,
Dégoisé plus d’une chanson.
Ma foi, vive l’intempérance,
Le vin clairet, le saucisson !
Je suis un oisillon de France
envoi
Prince, écoutez un bon garçon,
Très goûté d’Anatole France,
Et retenez bien ma leçon :
Je suis un oisillon de France.
II
Bien qu’aujourd’hui Rose
Ait un chapeau bleu,
Ce temps est morose
Comme un vieil Hébreu.
Le fesse-mathieu
Qui toujours tracasse,
Jacasse, fricasse !
Rions donc un peu !
Mon Dieu, que de prose !
Que d’eau, sacrebleu !
Chlorose ou névrose,
Et pas de milieu.
Comme Richelieu
On a Germain Casse.
En fait de Boccace…
Rions donc un peu !
En bas de la Croze,
Sous mon Ambérieu,
J’ai vu le ciel rose
Et la plaine en feu.
Ici, mon neveu,
Chacun avocasse
En vrai Madécasse.
Rions donc un peu !
envoi
La vie est cocasse ;
Pauvre, pauvre jeu !
Et Rose est bécasse…
Rions donc un peu !
III
Sur la littérature
Il souffle un mauvais vent.
Tous les gens d’écriture
Ont la tête à l’évent.
Moi, comme en son couvent
Un cordelier modeste,
Je rêvasse en buvant.
Je me fiche du reste.
Près d’une créature,
Dès le soleil levant.
Manger une friture
Sous un petit auvent,
N’est-ce pas émouvant ?
Si j’ai la jambe leste,
Je suis assez savant.
Je me fiche du reste.
L’ambition torture,
L’amour est décevant.
Par bonheur la nature
Est toujours là, rêvant,
Et je suis son fervent.
Ses yeux d’un bleu céleste
M’ont ébloui souvent.
Je me fiche du reste.
envoi
Prince de Bénévent,
Ce monde est une peste.
Bah ! je suis bon vivant.
Je me fiche du reste.
IV
Au long des sentiers fleuris,
Avec ma petite muse,
J’aime aller loin de Paris
Essayer ma cornemuse.
Je paresse, flâne et muse,
Bavardant, philosophant,
La moindre chose m’amuse.
Le poète est un enfant.
Que vaudrait aux colibris
D’avoir la science infuse ?
Nul besoin, pour être gris,
De vieux vin de Syracuse.
Si l’on veut que j’arquebuse
Ou sonne de l’olifant,
Non, messieurs ; je me récuse.
Le poète est un enfant.
Mais quel est ce malappris ?
Ce monstre à face camuse,
Qui me lorgne avec mépris ?
Le monde ? — Ah bah ! Je l’excuse.
J’aime à voir ses yeux de buse,
Ses larges pieds d’éléphant ;
Je ris de sa grosse ruse.
Le poète est un enfant.
envoi
Prince, si je ne m’abuse,
Béhémoth est triomphant.
Allons quand même à Vaucluse.
Le poète est un enfant.
V
Quand je me trouvai tout à coup,
L’autre soir, en face de Rose,
Je ne fus pas ému beaucoup.
Et pourtant cette bouche rose…
Ne rien dire eût été morose,
Ne rien tenter, le fait d’un loup.
Que demandai-je ? — Oh ! pas grand’chose.
Une fleurette, et voilà tout !
Hélas ! je n’ai pas grand bagout ;
Je suis modeste… un peu pour cause.
Philosopher n’est pas mon goût,
Je n’entends rien au grandiose.
Quand je veux aller à Formose,
Toujours je m’arrête à Saint-Cloud.
Que me faut-il ? — À peine éclose
Une fleurette, et voilà tout !
Je ne serai pas marabout,
Je ne verrai pas le Potose.
Ma petite veine est à bout ;
Il me faudrait écrire en prose,
Et c’est réservé, je suppose,
Aux héritiers d’Edmond About.
Toucher au laurier ? — Non, je n’ose.
Une fleurette, et voilà tout !
envoi
Je renonce à l’apothéose.
Mais qu’on me donne, au soleil d’août,
Pourvu qu’un papillon s’y pose,
Une fleurette, et voilà tout !
VI
Il a vraiment bien prêché,
Le bon père Malebranche,
Et j’en ai le cœur touché.
Arrive çà, ma pervenche,
Et réponds, surtout sois franche.
Dis, veux-tu qu’à Montfermeil
Nous allions faire, dimanche,
Un déjeuner de soleil ?
C’est toi mon joli péché,
Ma défaite et ma revanche,
Tu vois en moi, tout craché,
Don Quichotte de la Manche.
Que de bon pain sur la planche !
Dors : sur ton léger sommeil
Mon léger désir se penche,
Un déjeuner de soleil !
Hélas ! j’en suis bien fâché,
Un beau jour tout se démanche.
L’amour vite effarouché
Fuit aux bois et s’y retranche.
Amis, gare à l’avalanche !
La jeunesse, à son éveil,
N’est que l’oiseau sur la branche,
Un déjeuner de soleil.
envoi
Qu’est-ce donc ta gorge blanche,
Princesse au corps nompareil,
Et tes cheveux sur la hanche ?
Un déjeuner de soleil.
VII
Parmi les faux semblants,
Dans la mêlée humaine,
Je m’en vais, bras ballants,
Où l’amour me promène,
Parfois fou de Germaine
Et quelquefois un peu
Féru de Philomène ;
À la grâce de Dieu !
Quand je vois les bas blancs
D’une fillette amène,
Il me vient des élans
D’ardent catéchumène,
Et, toute une semaine,
Je m’amuse à ce jeu.
Bizarre phénomène !
À la grâce de Dieu !
Qu’on se batte les flancs
Pour conquérir Chimène,
J’ai tes us excellents,
Ô poularde du Maine,
Ma cousine germaine.
Un pré sous le ciel bleu,
Voilà mon vrai domaine.
À la grâce de Dieu !
envoi
Toi, grande Melpomène,
Écoute cet aveu.
J’ai l’âme peu romaine.
À la grâce de Dieu !
VIII
Qui rend l’âme franche
Et le cœur content ?
Sur la verte branche
Qui va voletant,
Sautelant, chantant
Toute la nuitée ?
N’est-ce pas pourtant
L’oiselle enchantée ?
Sur la plaine blanche,
Au ciel éclatant,
La lune se penche ;
On la voit flottant
Du bois à l’étang.
Le bel Aristée
Rêve en écoutant
L’oiselle enchantée.
Crincrins du dimanche,
Vite, on vous attend :
Voici la Revanche.
Gai ! Tambour battant !
Plus un impotent,
Plus une édentée,
Sitôt qu’on entend
L’oiselle enchantée.
envoi
Vous que j’aime tant,
Princesse futée,
L’aurai-je un instant…
L’oiselle enchantée ?
IX
Une rose à son bavolet,
Quelques lilas emmi la tresse,
La dame du Rossignolet
Vient d’arriver à Bourg-en-Bresse,
Et soudain, sans qu’il y paraisse,
Tout fleurit. Il1 n’est cœur si las
Qui ne se rouvre à la tendresse.
Vive la Rose et le Lilas !
« Dame, écoutez votre valet,
Souffrez un peu qu’on vous caresse, »
Dit Gaspard, le beau marjolet,
À Marion qui se redresse.
Et Lise n’est plus si tigresse.
Elle a vu le grand Nicolas ;
Son air de langueur l’intéresse.
Vive la Rose et le Lilas !
Jeannot qui s’en allait seulet,
Tout pleurant, le cœur en détresse,
Joue aujourd’hui du flageolet
En l’honneur de l’enchanteresse.
Diantre ! C’est l’heure d’allégresse.
Voici le moment des galas
Et des propos de haute graisse ;
Vive la Rose et le Lilas !
envoi
Qu’on m’aille quérir ma maîtresse ;
Et pas besoin de falbalas.
Dites-lui surtout que ça presse.
Vive la Rose et le Lilas !
X
Il est venu pour me voir
Trois messieurs du ministère.
Ils auraient voulu savoir…
Mais chut, chut ! Motus ! Mystère !
Dieu merci, je sais me taire.
Je leur dis d’un ton poli :
« Que vous êtes terre à terre !
Allons vite au bois joli ! »
On ne saurait tout avoir
Et j’ai peu de caractère.
Il n’est pas en mon pouvoir
D’être un monsieur trop austère.
Lorsque sur un commentaire
On a longuement pâli,
Ça ne vaut pas un clystère.
Allons vite au bois joli !
Du moindre bateau-lavoir
Je ne suis commanditaire.
Je bois au vieil abreuvoir.
Ah ! pauvre célibataire !
Mes amis, mon inventaire
Sera bientôt établi :
Trois chapeaux à la patère.
Allons vite au bois joli !
envoi
Qu’en dit monsieur de Voltaire ?
Moi, je me sens démoli.
Tant jacasser vous altère ;
Allons vite au bois joli ?
XI
La douce nuit vient d’étendre
Sur les bois son bleu manteau.
Ma jolie, allons entendre,
Assis au pied du coteau,
Les rossignols du château.
Vois donc : La lune se lève ;
Nous nous aimerons tantôt.
Embarquons-nous pour le rêve.
Notre jeunesse, à tout prendre,
Ressemble à ce vin nouveau
Dont nul ne se peut défendre,
Tant il vous monte au cerveau,
Et nous buvons au cuveau.
Mais la fête un jour s’achève ;
Il faut pleurer comme un veau.
Embarquons-nous pour le rêve.
Qu’elles étaient d’un vert tendre,
Les feuilles de l’arbrisseau !
Qu’il faisait bon voir descendre
Le joli petit vaisseau !
La vie est comme un ruisseau,
Si limoneuse et si brève !
La tombe touche au berceau.
Embarquons-nous pour le rêve.
envoi
Aussi frêle qu’un roseau,
Près d’Adam, notre mère Ève
File encor son blanc fuseau.
Embarquons-nous pour le rêve.
XII
Le soleil a secoué
Ses beaux cheveux sur le monde,
Et voici, Dieu soit loué !
Toute fraîche, rose et blonde,
Ma gentille Rosemonde.
Ainsi qu’un manteau de cour
Sa chevelure l’inonde.
Entrons au jardin d’amour !
J’aime son air enjoué,
Sa perversité profonde.
Oui, j’en suis tout engoué,
Moi, moi, l’énorme Burgonde
À la face rubiconde.
— Mon petit, bonjour, bonjour,
C’est l’instant, c’est la seconde.
Entrons au jardin d’amour !
Je t’en prie, assez joué,
Chère belle, ou bien… je gronde.
Mon cœur est si peu roué !
Si l’on veut que je réponde,
Il faut bien qu’on me seconde.
Entends battre le tambour,
Là-bas, là-bas, vers Golconde.
Entrons au jardin d’amour !
envoi
Princesse de Trébizonde,
Trois saluts, un petit tour.
Entrons vite dans la ronde,
Entrons au jardin d’amour !
XIII
Pauvre homme champêtre,
Au bord du Lignon,
J’ai trop mené paître
Mon troupeau mignon.
Jésus ! Quel guignon !
Ma petite Hélène
M’a fait plus d’un gnon.
Baise-moi, vilaine !
Si j’ai pu paraître
Un peu… Collignon,
Mon cœur n’est pas traître,
À peine grognon.
Mon gentil trognon,
J’ai la bouche pleine
Quand je dis ton nom.
Baise-moi, vilaine !
Demain je suis maître
D’un joli pognon.
Nous irons… peut-être
Dîner chez Bignon,
Puis à Montlignon
Courir par la plaine.
Défais ton chignon,
Baise-moi, vilaine !
envoi
Je suis compagnon
De la Marjolaine,
Et franc Bourguignon.
Baise-moi, vilaine !
XIV
Notre vieil univers,
Décidément c’est triste,
A la tête à l’envers.
Il devient pessimiste
Et même un peu banquiste.
Bah ! je sais, près d’Auvers,
Un très bon aubergiste…
Faisons de jolis vers.
La belle aux yeux pervers.
Aux grands yeux d’améthyste,
Dont trois ou quatre hivers
Je fus le guitariste,
M’a rayé de sa liste.
Ondoyant et divers
Ton petit cœur, fleuriste…
Faisons de jolis vers.
En dépit des revers
De l’écriture artiste,
Les bois sont encor verts
Et la gaîté persiste.
Me ferai-je trappiste ?
Non, non. C’est mon travers
De rire en bon fumiste.
Faisons de jolis vers.
envoi
Au couvent symboliste
Je ne suis pas convers.
Prince, Dieu nous assiste !
Faisons de jolis vers.
XV
Au royaume de beauté
Plus d’une aimable folie
Vous tient longtemps arrêté.
Œillet, muguet, ancolie,
Pourpre, tendre, un peu pâlie,
Chaque fleur a son galant.
De toutes la plus jolie,
C’est la rose au rosier blanc.
Dans l’ardeur du vent d’été
L’une, en riant, vous supplie,
Au cœur de l’autre est resté
Un brin de mélancolie.
Mais la merveille accomplie
Qu’on ne baise qu’en tremblant
Et que jamais on n’oublie,
C’est la rose au rosier blanc.
Son insolente fierté
De si haut vous humilie !
Elle a le signe enchanté
Qui lie, hélas ! et délie.
Jamais ne se mésallie
La reine au parfum troublant.
Sa gloire est bien établie ;
C’est la rose au rosier blanc.
envoi
À la princesse Aurélie
J’adresse d’un cœur dolent
Cette amoureuse homélie.
C’est la rose au rosier blanc.
XVI
Les papillons du matin
S’en vont sur la mer qui brille.
Sur les flots de vert satin
Leur essaim bleu s’éparpille.
Puis la troupe entre en bisbille
Et c’est comme un tourbillon.
Va réveiller la jonquille ;
Vole, vole, papillon !
Te voici, mon gai lutin,
Ma mignonne, ma gentille.
J’entends ton rire argentin
Qui me trouble et m’émoustille.
Avec mon cœur qui frétille
J’ai mis dans ton corbillon
Les grands biens de ma famille.
Vole, vole, papillon !
Oh ! Dieu ! le joli tétin,
Le tétinet qui pointille !
Il me faut le picotin
Qu’on doit à tout joyeux drille ;
En place pour le quadrille.
Le vent de ton cotillon
M’arrive à peine, et je grille.
Vole, vole, papillon !
envoi
Mais tu ris, méchante fille ;
C’est un blond chef de rayon
Qui, le soir, te déshabille.
Vole, vole, papillon !
XVII
C’est ma mignonne, ma mie.
Sachez qu’elle a débuté
Sous l’œil plein de bonhomie
Du géni’ d’la Liberté.
Elle a jadis hérité
(C’est là tout son patrimoine)
D’un joli fonds de gaîté.
Elle est du faubourg Antoine.
Jamais n’est trop endormie
Sa charmante vanité.
Mais elle n’offusque mie.
Même dans l’intimité
Elle a plus d’un bon côté.
C’est une fleur de pivoine ;
Oh ! triple !… une rareté !
Elle est du faubourg Antoine.
Il n’est pas de Jérémie
Qui n’admirât sa beauté…
Au moins une heure et demie.
Ses yeux ont tant de clarté !
Je l’aime en âne bâté
Et mangerais de l’avoine
Pour l’avoir tout un été.
Elle est du faubourg Antoine.
envoi
Pas trop de sévérité.
Prince, écoutez un bon moine
Qui ne dit que vérité.
Elle est du faubourg Antoine.
XVIII
Tartuffe, l’excellent homme
Qui fut tant considéré
Ici comme en cour de Rome,
Vous le pensiez enterré.
Allons donc ! Assez pleuré.
Il était à Cracovie,
Mais, hier il est rentré.
Tartuffe est encore en vie.
Sage, prudent, économe
Et soumis à son curé,
En tous lieux on le renomme,
Partout il est vénéré.
Après qu’il a bien bâfré,
Sa benoîte âme est ravie
Au fond du ciel azuré.
Tartuffe est encore en vie.
Au reste grassouillet comme
Un petit abbé mitré,
Rose et frais comme une pomme,
De toute vertu paré.
Son pain est toujours beurré,
Sa table amplement servie.
Dieu le veut. C’est donc sacré.
Tartuffe est encore en vie.
envoi
Vous, maudit, pestiféré,
Si vous en avez envie,
Empiffrez-vous de poiré.
Tartuffe est encore en vie.
XIX
Un soir de l’autre semaine
Que j’étais presque éméché,
Je vis la belle Germaine
Triste comme le péché.
Oh ! ce que j’en fus touché !
« Qu’est-ce donc qui vous afflige
Et pourquoi cet œil fâché ?
— Anatole me néglige.
— Mon Dieu ! quelle âme inhumaine,
Anatole ! un débauché,
Ou bien quelque énergumène !
— Lui, c’est le parfait miché.
Jamais il n’a découché.
— Tu veux pas que je te bige ?
— Non, j’ai le cœur empêché ;
Anatole me néglige.
— Alors c’est un phénomène,
Il ne t’est guère attaché.
— Qu’y faire ? L’amour nous mène
Quand on s’est amouraché.
— Qu’à son tour il soit lâché !
Calmez, calmez-vous, » lui dis-je.
Elle a toujours pleurniché :
« Anatole me néglige. »
envoi
Prince, si j’ai l’air penché
Comme un lys blanc sur sa tige,
N’en soyez effarouché :
Anatole me néglige.
XX
J’ai l’âme tendre et simplette
Et ne suis pas trop fendant.
Par le monde, à l’aveuglette,
Humble, je m’en vais rôdant.
Nulle épate. — Et cependant
Si je pouvais être mage
Comme le Sâr Péladan !
Pas moyen ? — Ah ! c’est dommage !
Que ne suis-je Décadent !
Quand Rose est à sa toilette
Elle plaît, c’est évident.
Un bouton de violette ;
Oui, mais rien de transcendant.
Je reste, en la regardant,
Aussi sage qu’une image.
Ah ! Dieu, le buisson ardent,
Papus, la Môme-Fromage !
Que ne suis-je décadent !
Pâturer sous la houlette
Du gros berger de Médan,
Mieux vaudrait la ciboulette
Qu’on mangeait au temps d’Adam.
Quant au Parnasse, oh ! tordant !
Regardez-moi ce plumage.
Le bon vieux n’a qu’une dent,
Et quelle voix, quel ramage !
Que ne suis-je décadent !
envoi
Prince, la fleur de cet âge,
Ô mirifique pédant !
Souriez à mon hommage.
Que ne suis-je décadent !
XXI
Ennemi de toute satire
Et vieux pécheur impénitent,
Quand il s’agirait d’un empire,
On me verrait encor chantant.
Mais quoi ? N’est-ce pas irritant
D’avoir ainsi le diable en croupe ?
Quel compagnon peu ragoûtant !
Toujours un cheveu dans la soupe !
La belle aux yeux qu’on ne peut dire,
La belle aux yeux qu’on aime tant,
Un matin, s’est mise à sourire ;
On se sent le cœur tout content.
Tandis qu’à genoux on l’attend,
Monseigneur Riquet à la Houppe.
Vous l’enlève tambour battant.
Toujours un cheveu dans la soupe !
Ces goujons qu’on ne saurait frire,
On les a pêchés à l’instant.
Ce mâcon, qui n’est pas du pire,
Est natif de Ménilmontant ;
Ce roquefort est bien tentant :
Mettez-y seulement la loupe,
Il aura plus d’un habitant.
Toujours un cheveu dans la soupe !
envoi
Vous riez, mon prince, et pourtant
On vous a fait sauter la coupe.
Avouez que c’est embêtant.
Toujours un cheveu dans la soupe !
XXII
Au bord de l’Yvette ou de l’Oise,
On aime entendre, en s’endormant,
La fauvette qui vous dégoise
Joliment son léger tourment.
Le moineau, c’est un garnement,
La bergeronnette est touchante.
Oui, mais quel ensorcellement
Tandis que le rossignol chante !
Dans la grande paix villageoise,
L’amante vient avec l’amant.
L’une a des lèvres de framboise,
L’autre un cœur qui jamais ne ment ;
Tous deux s’adorent tendrement.
Quelle belle serait méchante
Sous la splendeur du firmament,
Tandis que le rossignol chante !
Fût-ce un notaire de Pontoise,
Venu pour faire un testament ;
Fût-ce une dame très bourgeoise,
Unie, oh ! par le sacrement !
Avec tout l’enregistrement,
En cette nuit qui nous enchante
Qui donc n’aurait le cœur aimant,
Tandis que le rossignol chante !
envoi
Les ans s’écoulent. Tristement
L’eau s’en va de l’urne penchante.
Aimons-nous encore un moment,
Tandis que le rossignol chante !
XXIII
Plus capiteuse que le vin,
Tumultueuse comme l’onde,
La femme est le trésor divin.
Mais, brunette, châtaine ou blonde,
Qu’elle débarque de Golconde,
De Samarcande ou du Japon,
Son cœur ne bat qu’une seconde,
Ron, ron, ron, petit patapon.
Hélas ! on interroge en vain
L’âme légère et vagabonde.
Personne encor, pas un devin
N’a su lire aux yeux de Joconde.
On cherche, on crie, on pleure, on gronde.
Il suffit d’un minois fripon
Pour que le sage se morfonde,
Ron, ron ron, petit patapon.
Et toujours, au pays silvain,
Tourne, tourne la folle ronde.
Au creux du céleste ravin
Toujours croît la fleur inféconde,
Il semble que la joie abonde.
Ah ! L’amour quel joli poupon !
Mais croyez-vous qu’il vous réponde ?
Ron, ron, ron, petit patapon.
envoi
Chaque heure passe comme aronde,
Passe en levant son blanc jupon.
Prince, ainsi passera le monde.
Ron, ron, ron, petit patapon !
XXIV
Pourquoi donc, ma petite amie,
Me faire si vilain accueil ?
Pourquoi donc, ma belle endormie,
T’agiter comme un écureuil ?
Est-ce que j’ai le mauvais œil ?
— Fi ! Qu’as-tu fait avec Constance,
Dimanche, au moulin de Bonneuil ?
— La chose n’a pas d’importance.
Vis-tu jamais cette momie
Boileau, dans son jardin d’Auteuil ?
As-tu de notre Académie
Seulement contemplé le seuil ?
Je sais, là-bas, certain fauteuil
Que l’on guigne avec insistance.
Ah ! mon Dieu ! le risible orgueil !
La chose n’a pas d’importance.
Qu’on soit professeur de chimie
Ou gai chanteur comme bouvreuil,
Crasseux ou plein de bonhomie,
Habitant de Brive ou d’Arcueil,
Tous, on se butte au même écueil.
Pierrot finit par la potence
Et Socrate… par le cerfeuil.
La chose n’a pas d’importance.
envoi
Je meurs. Amis, sur mon cercueil
Sifflez l’air de la reine Hortense.
Surtout ne prenez pas le deuil,
La chose n’a pas d’importance.
XXV
J’ai beau, dès le petit matin,
Mettre le nez à ma fenêtre…
Personne à l’horizon lointain.
Que la gloire est lente à paraître !
Bah ! Suis-je fait pour la connaître.
Quelque jour je m’endormirai
Comme Tityre au pied d’un hêtre…
Quand on m’aura bien enterré !
J’y perds, ma foi, tout mon latin.
Si ma route ainsi s’enchevêtre,
C’est, bien sûr, la faute au destin.
Et me voici presque un ancêtre.
Humble desservant, pauvre prêtre,
Qui ne pouvais passer curé,
Quel bon évêque je vais être
Quand on m’aura bien enterré !
Pour le moindre petit trottin
Mon cœur flamba comme salpêtre ;
Je m’affolai d’un diablotin
Qui plus d’un soir m’envoya paître.
On me trouvait par trop champêtre
Et j’étais peu considéré.
Que de cœurs dont je serai maître
Quand on m’aura bien enterré !
envoi
Douce maîtresse au cœur si traître,
Ô toi qui n’as jamais pleuré,
Qui sait ? Tu m’aimeras peut-être
Quand on m’aura bien enterré !