Chère beauté que mon âme ravie
Comme son pôle va regardant,
Quel astre d'ire et d'envie
Quand vous naissiez marquait votre ascendant,
Que votre courage endurci,
Plus je le supplie moins ait de merci ?
En tous climats, voire au fond de la Thrace,
Après les neiges et les glaçons
Le beau temps reprend sa place :
Et les étés mûrissent les moissons :
Chaque saison y fait son cours :
En vous seule on treuve qu'il gèle toujours.
J'ai beau me plaindre, et vous conter mes peines
Avec prières d'y compatir :
J'ai beau m'épuiser les veines,
Et tout mon sang en larmes convertir :
Un mal au-deçà du trépas,
Tant soit-il extrême ne vous émeut pas.
Je sais que c'est : vous êtes offensée,
Comme d'un crime hors de raison,
Que mon ardeur insensée
En trop haut lieu borne sa guérison,
Et voudriez bien pour la finir
M'ôter l'espérance de rien obtenir.
Vous vous trompez, c'est aux faibles courages
Qui toujours portent la peur au sein
De succomber aux orages,
Et se lasser d'un pénible dessein :
De moi, plus je suis combattu
Plus ma résistance montre sa vertu.
Loin de mon front soient ces palmes communes
Où tout le monde peut aspirer :
Loin les vulgaires fortunes
Où ce n'est qu'un jouir et désirer :
Mon goût cherche l'empêchement
Quand j'aime sans peine j'aime lâchement.
Je connais bien que dans ce labyrinthe
Le Ciel injuste m'a réservé
Tout le fiel et tout l'absinthe
Dont un amant fut jamais abreuvé :
Mais je ne m'étonne de rien :
Je suis à Rodante je veux mourir sien.